Pendant trois décennies, le chanteur et harmoniciste Roma Wilson est resté l’un des interprètes les plus énigmatiques de la musique américaine. Jusqu'aux années 1980, il n'y avait pas de photo connue, un seul disque commercialisé... Aujourd'hui, il a 107 ans, France Musique l’a retrouvé.
Dans les champs du Mississippi et de l’Arkansas, dans les rues de Detroit, à la Maison Blanche devant les Clinton… Roma Wilson a baladé son gospel pendant plus de huit décennies. Ordonné pasteur à 18 ans, il n’a participé qu'à deux séances d’enregistrement dans sa vie. Lors de la première, vers 1950, il a gravé trois disques, mais un seul a été édité. Il a dû attendre 1994 pour en refaire. Redécouvert sur le tard, ce chanteur-harmoniciste a même été nominé pour un Grammy en 1993 et à 100 ans, il jouait encore en public dans son église.
1910-1923 : une enfance dans les champs du Mississippi
Roma Wilson voit le jour le 22 décembre 1910 à Hickory Flat, dans le Mississippi. Il est le dernier de 10 enfants. Ses parents sont métayers et exploitent une petite parcelle de terre. Dès l’âge de 8 ou 9 ans, il participe aux travaux agricoles, il mène la mule qui trace les sillons. Quand il a le temps, il va à l’école à pied, parfois sans chaussures. Pour arrondir les fins de mois, son père et ses frères aînés travaillent aux chemins de fer. Ils posent les rails de la ligne qui traversera l’État rural du Mississippi.
Roma Wilson : "On travaillait dans les champs, il fallait creuser un sillon"
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1923-1929 : un professeur vagabond et éclopé
Vers 1923, le jeune Roma Wilson, alors adolescent, construit son premier harmonica avec des morceaux de métaux récupérés. À 15 ans, il s'en achète un vrai. Un vieux musicien de passage, handicapé et incapable de gagner sa vie avec les travaux physiques, lui apprend à en jouer. Roma Wilson développe déjà son style particulier. Un jeu très puissant, avec un chant presque crié, associé à un vibrato subtil.
Roma Wilson : "Cet éclopé, il m'a appris à jouer de l'harmonica"
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1929-1935 : musicien de gospel itinérant
En 1929, Roma Wilson ressent un appel divin. Ordonné pasteur par un religieux local, il part sur les routes du Mississippi pour prêcher la bonne parole. Il chante des gospels, dont les vers sont tirés de la Bible, en s’accompagnant à l’harmonica. Souvent, il ne reçoit qu’un sac de pommes de terre en guise de salaire pour ses services religieux. Il se produit dans des chapelles improvisées, faites de draps reliés à quatre hauts piquets, avec des rondins de bois en guise de bancs. Son chant et son jeu d’harmonica deviennent célèbres dans les alentours, même des Blancs viennent écouter cette musique spécifique de la liturgie afro-américaine.
Roma Wilson : "Même les Blancs venaient, ils adoraient écouter chanter les Noirs"
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1935-vers 1949 : direction l’Arkansas
À près de 25 ans, Roma Wilson traverse le fleuve Mississippi pour s’établir dans l’Arkansas voisin, avec femme et enfants. Là-bas, il s’établit fermier et stoppe sa vie nomade. Les dimanches, il joue toujours dans de petites églises locales et son style y fait merveille. Il développe le « chock », qui consiste à accentuer la musique brusquement et insufflant une grande quantité d’air dans l’harmonica. Il fait parfois hurler son instrument comme Jimi Hendrix le fera avec sa guitare. Ses enfants apprennent à en jouer et l'accompagnent.
1950-vers 1960 : ouvrier dans l’automobile à Detroit et premiers disques
Attirée par les possibilités d’emplois dans la capitale de l’automobile, la famille déménage dans le Michigan. Roma Wilson est engagé sur une chaîne de montage et poursuit son activité de pasteur. En plus des chapelles locales, il joue avec ses fils aînés sur Hasting Street, l’une des rues les plus animées de la ville, où la plupart des Noirs ont leurs commerces. Dans cette rue, Joe von Battle, marchand et producteur de disques, les remarque et leur fait enregistrer six titres, pour les commercialiser sur trois 78 tours.
Mais sans rien dire, Joe von Battle vend les masters de l'harmoniciste à un producteur de Philadelphie, qui choisit de ne sortir que deux titres (donc un seul disque, les 78 tours n'ayant qu'un titre par face). Roma Wilson ne verra jamais son argent. Spoliation, oubli ou mauvaise foi ? Même si Joe von Battle, ancien pasteur porté sur la bouteille, n’était pas un enfant de chœur, sa fille contredit la version de Roma Wilson.
Marsha Music, fille de Joe von Battle : "Mon père enregistrait tous les musiciens qui venaient chez lui"
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Roma Wilson ne refera pas de disque pendant près de 45 ans. En revanche, ses enfants prendront la suite sur la scène gospel de Detroit, connaissant de petits succès. Leur père quittera la ville quelques années plus tard et disparaîtra des radars pendant trois décennies. Suite le 26 août.
Remerciements particuliers à :
-Joe Louis et John Glassburner pour les disques de collection
-Suzana Nevenkic, Robin Gremmel, Théo Hetsch, David Ravier, Xavier Combe et Nathalie Moller qui ont prêté leurs voix aux interlocuteurs anglophones.
Programmation musicale
Elder Roma Wilson "This Train"
Better Get Ready
Arhoolie Records
Josh White "Josh White sings the blues & Sings - volumes 1 et 2"
Jim Crow Train
Collectables
Robert Cooksey "Harmonica blues, Mississippi, Memphis, Chicago, 1927-1941"
Shortnin' Bread
Frémeaux FA 040
Elder Roma Wilson "This Train"
This Train
Arhoolie Records
Blind Willie Davis "Gospel vol. 3: Guitar evangelists /1927 - 1944 (cd1)"
Rock Of Ages
Frémeaux FA 044/1
Elder Roma Wilson "This Train"
Gonna Wait Till a Change Come
Arhoolie Records
Eddie Burnss "Detroit blues / Blues from the Motor city (1938-1954)"
Notoriety Woman
JSP
Fats Domino "BD Music presents Fats Domino"
Detroit City Blues
Bd Music
Washboard Willie
A Fool on a Mule in the Middle of the Road
Von
Detroit Count "Detroit/Down home blues/Detroit special"
Detroit Boogie
Wenerworld
Aretha Franklin "Never grow old"
Take My Hand Precious Lord
MVD Audio
Elder Roma Wilson "This Train"
Lily of the Valley
Arhoolie Records
Goldia Haynes "Gospel vol. 4/ Sisters & Divas 1943 - 1951"
The Truth is the Gospel
Frémeaux FA 5053
Elder Solomon Michaux "Gospel - La grande anthologie 1927-1963"
I'm So Happy
Body & Soul
Brother Willie Hairston
Alabama Bus
J-V-B
Programmation musicale
- 18h56bill frisellsurfer girl
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Réalisation