Monnaie de Bruxelles : De la maison des morts de Janacek selon Krzysztof Warlikowski

- Publié le 12 novembre 2018 à 17:39
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Créée à Londres la saison passée, reprise à Lyon en janvier prochain, cette nouvelle production apporte une alternative moderne au spectacle déjà mythique du regretté Patrice Chéreau.

Comment mettre en scène De la maison des morts après Patrice Chéreau, qui signa, avec le chef-d’œuvre posthume de Janacek, un des spectacles lyriques les plus aboutis de ce jeune siècle, faisant briller dans les ténèbres d’inoubliables éclairs sur un au-delà poétique ? A cette sublime épure, Krzysztof Warlikowski répond par la crudité réaliste d’un univers carcéral contemporain, où les détenus en survêt’ matent des matchs de foot à la télé, jouent au basket, et bien sûr se castagnent sans ménagement.

Cette brutalité, qui peut rappeler celle d’un certain cinéma, atteint pourtant une forme de grâce, distillée par une science du mouvement virtuose, où passent les palpitations et les révoltes du huis-clos masculin. Chaque petit rôle, chaque figurant se voit investi d’une présence physique affirmée, parfois jusqu’à l’outrance, pour mieux dépeindre le basculement dans la folie qui menace – ainsi de ces quatre danseurs noirs et athlétiques, emportés par une sorte de transe anxiogène.

La pantomime du II est réglée avec un art des justes proportions du théâtre dans le théâtre, aussi admirable que la vivacité des enchaînements. Mais la tension retombe quelque peu au III, où Warlikowski semble ne pas savoir quoi faire du long monologue de Chichkov – il est vrai que dans ce rôle court mais décisif, Pavlo Hunka, sans démériter, n’a pas la flamboyance d’un Peter Mattei. A l’issue de ce récit, Louka Kouzmitch ne s’éteint pas de mort naturelle : il se tranche les veines, dévoré par la culpabilité de son crime. Et à la fin du voyage au bout de l’enfer, nul aigle prenant son vol vers la liberté ; mais un jeune prisonnier blessé, qui se lève de son fauteuil roulant et réapprend à marcher – belle idée, en phase avec cette lecture décidément ancrée dans le réel.

Parmi toute la galerie des prisonniers, plusieurs artistes présents dans la production de Chéreau retrouvent des personnages qui leur collent à la peau et à la voix. Au Goriantchikov écrasé par le destin de Willard White, au Louka Kouzmitch insidieux de Stefan Margita, au Skouratov à l’expressionnisme tendu de Ladislav Elgr, ou encore au vieux prisonnier immuable de Graham Clark, se joint l’Alieïa idéalement adolescent de Pascal Charbonneau.

On pourrait rêver, pour rendre justice à l’alchimie des timbres dont Janacek fut le sorcier, des couleurs un peu plus chatoyantes que celles de l’Orchestre de la Monnaie. Mais Michael Boder plie chaque pupitre à une discipline de fer, son geste implacable, non dénué de lyrisme, faisant naître au plus profond de la matière sonore une tension qui exhausse les géniales étrangetés sécrétées par la partition.

De la maison des morts de Janacek. Bruxelles, Théâtre de la Monnaie, le 11 novembre.

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