Opéra de Marseille: Lawrence Foster & Alexandra Conunova en concert

Auditorium du Pharo, Marseille, saison 2018/2019
Orchestre Philharmonique de Marseille
Direction musicale Lawrence Foster
Violon Alexandra Conunova
Johannes Brahms: Danses hongroises no 1, no 3 et no 1O
Béla Bartok: Concerto no2 pour violon
Zoltan Kodaly:Hary Janos suite op. 15
Marseille, le 2 décembre 2018
En ce dimanche après-midi, le bel Auditorium du Pharo recevait un public nombreux pour un concert assez original mais de très grande qualité. Au programme, des musiques venues de l’Est où Johannes Brahms – avec ses Danses hongroises – allait tutoyer Béla Bartok et Zoltan Kodaly. A la baguette, le maestro Lawrence Foster retrouvait son orchestre, dans une entente parfaite, pour faire résonner les accents de ces musiques colorées. Car bien qu’américain, le maestro retrouve toujours avec plaisir les accords et les rythmes de ces contrées d’où sa famille est originaire. C’est dire si le style et les atmosphères seront au rendez-vous, avec aussi, une violoniste moldave. Ce sera l’occasion de découvrir ou redécouvrir le cymbalum, un instrument venu de l’Europe centrale et que l’on a peu l’occasion d’écouter. De ses 21 Danses hongroises, composées pour le piano entre 1852 et 1869, Johannes Brahms en choisit trois ( No 1, 3 et 10) pour un arrangement orchestral, un peu lyrique aux envolées rythmiques de Czardas. Ce sont ces trois danses qui vont prendre vie, ici, sous la baguette inspirée du maestro Lawrence Foster. Tempo vif ou plus lent, changements précis, rallentandi assurés sur des basses qui donnent une certaine assise, avec des archets d’une grande précision. Mais aussi légèreté de l’harmonie avec un hautbois aux notes piquées, un quatuor de cors sonore et la brillance des fortissimi aux accents folkloriques. Vif, dansant, le thème joyeux de la Danse No 10 avec la vélocité de main gauche des violons et l’ensemble parfait des archets. L’orchestre suit avec souplesse la baguette énergique du maestro qui apporte souffle,  rythme et homogénéité des sons. Moment d’émotion avec la troisième suite de Bach – non prévue au programme – mais que le chef d’orchestre dédie aux victimes d’un drame survenu à Marseille au mois de novembre. Avec une belle rondeur de son donnée par la longueur des archets, l’orchestre sublime cette musique qui touche l’âme. Nous touchons aussi au sublime avec le concerto No 2 de Béla Bartok dans l’interprétation de la violoniste Alexandra Conunova. Ce concerto écrit entre 1937 et 1938 par un compositeur qui, très tôt, va aller explorer les musiques originelles des villages de son pays, va réunir ici les harmonies et les accents folkloriques tout en gardant une structure et des tonalités classiques. Ne cédant pas à la mode des écritures atonales, il se laissera glisser vers des tonalités voisines, donnant ainsi une certaine modernité à sa composition. Lauréate du Concours international de violon Joseph Joachim à Hanovre, la violoniste moldave obtient un troisième prix au prestigieux Concours Tchaïkovski qui se tient à Moscou, avant de remporter la Borletti-Buitoni Fellowship à Londres en 2016. Dans ce concerto, l’on goûte d’entrée toutes les subtilités de l’interprétation et du discours d’Alexandra Conunova, qui subjugue par son jeu. Sans céder à la grandiloquence, l’on ne peut parler de la violoniste qu’en usant de superlatifs. Joue-t-elle le violon Guarneri del Gesu 1728 ou le Santo-Seraphino 1735 Venise en cet après-midi ? Qu’importe, la pureté des aigus, la pleinitude du son vient d’elle. Plus que sa technique époustouflante, c’est le souffle de son âme qui touche au plus profond de notre être. Elégance du jeu, justesse parfaite, sûreté de main gauche, mais aussi une maîtrise d’archet qui permet une grande fluidité. Cet archet qui attaque les note sans aucune agressivité et qui donne une homogénéité de son incomparable, passant du forte au pianissimo comme joué sur un crin de l’archet. Alexandra Conunova se joue des difficultés dans une cadence qui laisse ressortir son tempérament. Si Béla Bartok explore avec jubilation toutes les facettes de l’instrument, la violoniste les sublime avec de longues phrases quasi religieuses, dans le deuxième mouvement, avec un vibrato intense qui s’harmonise au phrasé. Energie pour un Allegro molto  brillant, prises de notes affirmées mais délicates, virtuosité, mais musicalité et intelligence du jeu qui font oublier la technique. A l’unisson avec la soliste, Lawrence Foster fait sonner son orchestre avec les rythmes, les atmosphères, les balancements et les changements de tempi. Une direction précise et néanmoins sensible qui laisse à la soliste toute latitude pour s’exprimer. Une interprète habitée qui, après d’interminables bravos nous donne à écouter un mouvement de la deuxième sonate d’Ysaÿe jouée avec une facilité époustouflante où l’archet agile joue à deux voix. Une interprétation de bon goût qui reste classique tout en laissant poindre la fantaisie. Et pour finir sur un air de Czardas, un folksong moldave signé Stephan Neaga qui allie charme et délicatesse. Une violoniste que l’on ne pourra oublier tant son jeu, dans une apparente facilité, nous a impressionnés. Zoltan Kodaly terminait ce concert avec Hary Janos Suite, suite orchestrale tirée de son opéra Hary Janos. Récit imagé d’un hussard, vétéran des guerres napoléoniennes. Créé au Théâtre royal de Budapest ce siegspiel est d’une grande originalité. La version orchestrale est un mélange de romantisme tardif, de classique impressionniste et d’une certaine modernité, qui allie humour, réalisme et naïveté. Cette musique, Lawrence Foster la dirige avec emphase et justesse, faisant ressortir les sons pleins du quatuor ou la tristesse plaintive de la clarinette. Six mouvements qui nous emmènent à Vienne au son joyeux des carillons. Cors, trompettes caisse claire, joies d’un défilé militaire ? Puis la complainte de l’alto solo et la découverte du cymbalum qui, avec ses notes frappées avec dextérité, nous transporte en Europe centrale d’un seul coup de ses fines baguettes. Un geste large du maestro et nous sommes sur un champs de bataille où sonnent trombones, grosse caisse et trompettes glorieuses. Mais le chant funèbre du saxophone annonce très vite la défaite de Napoléon. Le retour au village est plus joyeux avec l’ensemble parfait des archets et le solo du cymbalum. Lawrence Foster a su donner un récit animé et coloré, laissant à l’orchestre et à chaque pupitre la liberté de s’exprimer avec une grande justesse d’expression. Un concert d’après-midi comme on aimerait en entendre souvent et qui a soulevé la salle d’enthousiasme.