Hannu Lintu : les chefs finlandais, une mafia ? Juste des amis !

par

Au cours des dernières décennies, la Finlande est devenue une véritable pépinière de grands chefs d'orchestres. Et Hannu Lintu (Rauma, 1967) en est un représentant pertinent. Depuis 2013, il dirige l'Orchestre Symphonique de la Radio finlandaise après une carrière initiée à l'Orchestre Philharmonique de Turku et développée ensuite avec l'Orchestre Philharmonique de Helsingborg et de Tampere.

Pour Scherzo, Pablo L. Rodrígues s'est entretenu avec lui de ses activités symphoniques et lyriques, de ses enregistrements pour le label Ondine, mais aussi du système éducatif finlandais qui a permis à un jeune homme de la région côtière, isolée, de Satakunta, sans musicien dans la famille, d'étudier le violoncelle et la direction d'orchestre au plus haut niveau.

En 2011, un festival de musique de chambre était organisé pour les chefs d'orchestres finlandais : Okko Kamu, Jukka-Pekka Saraste, John Storgårds et Pietari Inkinen étaient au violon, Sakari Oramo à l'alto, Susanna Mälkki et vous au violoncelle, Osmo Vänskä à la clarinette et Leif Segerstam au piano. Pouvez-vous nous expliquer ?

En Finlande, c’est une tradition, tous les chefs d'orchestre ont fait partie d’un orchestre comme instrumentistes, à cordes pour la plupart. Imaginez ces huit chefs qui jouent ensemble un octuor : les répétitions sont extrêmement intéressantes mais aussi très intenses. On a donné des concerts vraiment fantastiques parce qu'on s'entendait très bien. Je peux appeler n'importe lequel d’entre eux si j'ai un problème et tous peuvent m'appeler. Les gens disent que nous formons une sorte de mafia, mais nous sommes juste des amis.

Ce système d'éducation musicale inspiré par l'ex-Union soviétique joue un rôle dans l’âge d'or de la direction d'orchestre en Finlande…

Oui. Cela a commencé au début des années ’70, quand le système éducatif finlandais hérité de la Suède a été modernisé. Retenir des idées de l'Union soviétique, c’était pragmatique : ils ont déniché tant de musiciens talentueux dans les endroits les plus reculés… La Finlande est peu peuplée et les distances sont grandes. Des écoles de musique ont alors vu le jour dans les localités les plus petites et les plus reculées pour repérer les talents et les guider vers une formation à l'Académie Sibelius. En Union Soviétique, le système était plus lourd parce qu’ils voulaient former des musiciens professionnels et des solistes internationaux. Nous n'avions pas ces ambitions mais le niveau des orchestres s’est considérablement amélioré.

Mais les chefs finlandais sont très différents alors que beaucoup d'entre vous ont étudié avec Jorma Panula.

Pour le Professeur Panula, la direction d'orchestre n'est pas une discipline technique, c’est une discipline musicale. Sa philosophie, c’était d'éviter d'enseigner la technique à l'élève pour ne pas interférer avec sa personnalité. Chacun doit développer ses propres outils et ses propres solutions. Je me souviens qu’au cours, il me demandait si c'était ce que je voulais entendre de l'orchestre ; si je répondais non, il me disait de trouver un autre moyen d'avancer. C'est la raison pour laquelle nous sommes si différents, parce qu'il n'y a pas d'école technique unifiée.

Vous avez aussi suivi les master classes d'Ilya Musin (le maître de Temirkánov, Bychkov et Gergiev), ce qui est pratiquement le contraire.

Ilya Musin était professeur invité à l'Académie Sibelius. Je me souviens qu'à 92 ans, il venait en train de Saint-Pétersbourg. Et c'était en effet un contraste très intéressant par la complémentarité. Musin, lui, nous montrait comment on faisait les choses : indiquer une entrée, faire une phrase d'orchestre, déterminer certaines articulations, etc.... Tout cela avec les mains. J'utilise encore certains des trucs qu'il m'a appris. Et je peux repérer ses élèves à cinq kilomètres…

Votre carrière s'est concentrée sur le répertoire symphonique bien que, désormais, vous dirigiez aussi de l'opéra. Que vous apporte l'opéra ?

J'apprends plus des bons chanteurs que des bons instrumentistes. La respiration et le phrasé, c'est le cours naturel de la musique. Et mes conditions de travail à Helsinki me permettent de combiner les deux : le travail symphonique le matin et l’opéra le soir. Pour le moment, je suis plongé dans une production de Wozzeck et, l'année dernière, j'ai dirigé Otello au Festival de Savonlinna. Ce sont de nouvelles partitions pour moi et comme je ne suis pas un spécialiste de l'opéra, j'ai besoin de quatre ou cinq semaines de répétitions avec les chanteurs. 

Pour les concerts symphoniques, je veux des programmes créatifs et thématiques qui intègrent de nouvelles oeuvres. Ainsi, la dernière création du compositeur finlandais Ville Raasakka était associée à des œuvres de Bartók et Debussy en relation avec l'écologie.
Quand j’ai rencontré Ville Raasakka pour la première fois, avant qu'il compose cette nouvelle œuvre, je lui ai dit ce qu'il y aurait avant et après, et il a intégré mon programme et la thèmatique de son travail : il a introduit des molécules sonores du Troisième Concerto pour piano de Bartók et de La Mer de Debussy pour mieux relier les œuvres du concert et bien mettre la sienne en valeur. Je trouve idéale cette façon de programmer la musique contemporaine.

Vous travaillez aussi avec Sebastian Fagerlund. Quel est pour vous l'intérêt de travailler avec des compositeurs ?

Tous les chefs d'orchestre finlandais entretiennent des relations étroites avec les compositeurs, et on le doit aussi au Maestro Panula. Il nous disait que si nous comprenions les compositeurs vivants, nous pourrions aussi comprendre les compositeurs morts. L'Orchestre de la Radio Finlandaise a été très proche de Magnus Lindberg et l’est maintenant de Sebastian Fagerlund. C’est vraiment important de cultiver les relations entre les compositeurs, les chefs et les orchestres, nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.

Cette saison, il y a tout le cycle de symphonies de Mahler. Pourquoi Mahler ?

Au cours des cinq dernières années, un tiers des musiciens de l’orchestre ont été remplacés par des nouveaux membres qui viennent d’un peu partout dans le monde. Ce cycle est idéal pour réunir l'orchestre car dans les symphonies de Mahler, tout le monde joue au même niveau. Et ça nous permettra de jouer pour la première fois la Symphonie des Mille à la Musiikkitalo et de voir à quoi ressemble ici cette œuvre si massive.

Vous allez aussi diriger le cycle des Concertos pour piano de Beethoven avec Stephen Hough.

Nous allons enregistrer cette intégrale pour Hyperion. C'est encore un projet très excitant : répéter, jouer et enregistrer les cinq concertos en une semaine. A nouveau, je pense que le répertoire classique est très important pour qu'un orchestre développe son caractère, son rythme et son articulation. Les concertos de Beethoven et les symphonies de Mahler en une saison, c’est une bonne combinaison.

Pour le label Ondine, votre discographie déjà vaste vient d'intégrer les symphonies de Lutoslawski et un grand album dédié à Bernd Alois Zimmermann : y a-t-il une ligne éditoriale dans vos enregistrements ?

Chez Ondine, nous développons différentes lignes d'enregistrements avec Radio Finland. Il y a ce que nous appelons “les classiques du XXe siècle”, c'est-à-dire les œuvres de Berio, Lutoslawski, Messiaen et Zimmermann auxquelles nous pouvons apporter beaucoup car notre orchestre est très bon en musique contemporaine et que nous avons une excellente salle. Et puis il y a bien sûr la musique finlandaise, comme Sibelius dont nous sortirons en septembre un enregistrement de Kullervo avec d'autres compositeurs contemporains tels que Kaija Saariaho. Et enfin, il y a le répertoire standard, les concertos pour piano de Beethoven et les symphonies de Mahler que nous essayons de développer simultanément.

Pour terminer, j’aimerais évoquer votre relation avec l'Espagne. Vous y dirigez régulièrement, y compris des compositeurs contemporains espagnols comme Jesús Rueda lors de votre dernière tournée. Vous vous intéressez à la musique contemporaine espagnole ?

Oui, bien sûr, bien sûr. En Finlande, j'ai peu d'occasions de diriger cette musique. Mais j'ai pu donner une oeuvre d'Eduardo Soutullo avec le Sinfónica de Galicia. Et aussi, il y a quelques années, avec le Sinfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya. Il y a pour le moment plusieurs compositeurs espagnols intéressants comme par exemple Ferrán Cruixent. J'espère avoir le temps de venir en Espagne plus souvent et diriger la musique espagnole. J’y reviens d’ailleurs en tournée avec l'Orchestre Symphonique de la radio finlandaise en septembre 2020.

(Adaptation en français : Michelle Debra)

Crédits photographiques :  Veikko Kähkönen

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.