A Sion, le génie de la violoniste Patricia Kopatchinskaja

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Située dans le canton du Valais, la ville de Sion est l’une des capitales suisses du violon. Le mérite en revient au Hongrois Tibor Varga qui s’y installa en 1963 pour fonder une académie d’été, un festival et un concours international en 1967. Depuis sept ans, c’est toutefois un vent de fantaisie slave qui souffle sur le Sion Festival depuis que le violoniste Pavel Vernikov en a pris la direction artistique. 

Dans une programmation qui laisse une large place à des projets originaux, deux vedettes de l’école musicale « russe » créaient l’événement lors du week-end inaugural du Sion Festival. Originaire de Moldavie, la violoniste Patricia Kopatchinskaja est une fidèle du public helvétique puisqu’elle habite Berne depuis de nombreuses années et possède la double nationalité autrichienne et suisse. Aux côtés de la pianiste Polina Leschenko, la musicienne aux pieds nus sidère par son incroyable liberté interprétative.  Sous l’archet de son Pressenda de 1834, les Impressions d’enfance d’Enesco apparaissent comme un torrentueux livre d’images, tour à tour impressionnistes et modernistes (on songe parfois à Messiaen). Annonçant le nom des mouvements d’une voix gourmande, la violoniste moldave prend tellement de risques rhapsodiques qu’on remarque à peine le jeu franc et direct de sa consoeur pianiste. Même fascination pour la Sonate n°2 de Ravel (dont Enesco tenait la partie de violon à la création en 1927) que Kopatchinskaja réinvente sous nos yeux. Pas de poursuite hédoniste du beau son, au contraire, la violoniste se tient constamment sur un fil fragile et fantomatique. Avec un jeu aussi imprévisible, le célèbre Blues central prendra des couleurs de Far West et de jazz manouche. Kopatchinskaja tente beaucoup, ne réussit pas tout mais impressionne par une inventivité de tous les instants. 

Dans la complexe Sonate n°3 « Dans le caractère roumain » d’Enesco, Polina Leschenko aura l’occasion de tisser un joli moment d’entente chambriste, mais c’est encore le Tzigane de Ravel final qui marque les esprits : Kopatchinskaja bouscule ce « tube » du répertoire avec des nuances inattendues, tout en gardant un sens très fluide de la ligne musicale. Patricia Kopatchinskaja est une des musiciennes les plus étonnantes de notre époque. Un génie de son instrument.

Le lendemain, on retrouvait une chaleur sonore identique lors du récital de Sergey Babayan. Toutefois, si la virtuosité emporte tout sur son chemin, le pianiste arménien ne cisèle pas (à notre goût) ses Chopin ; au travers de ce tempérament sanguin, les valses, nocturnes et autres mazurkas du compositeur polonais apparaissent souvent trop charpentés ou précipités. Finalement, ce sera l’inattendu Für Alina d’Arvo Pärt en bis qui témoignera de sa maîtrise suprême de la résonance. 

Sion, 16 & 17/8/2019

Crédits photographiques : Claude Dussez

Laurent Vilarem

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