A l’OSR, une fascinante création de Richard Dubugnon

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Lors de chaque saison, l’Orchestre de la Suisse Romande passe commande d’œuvres auprès de jeunes compositeurs qui ont ainsi à disposition un effectif de plus de cent instrumentistes. C’est pourquoi Richard Dubugnon, né à Lausanne en 1968, élève du Conservatoire de Paris et de la Royal Academy of Music de Londres, contrebassiste de formation ayant joué durant onze ans dans la fosse de l’Opéra de Paris, propose en création Via Lemanica, le deuxième volet de son triptyque Helvetia qui avait débuté en 2013 avec Vol alpin commémorant le vingtième anniversaire du Festival de Verbier.

Avant que les musiciens ne prennent place sur le plateau, le compositeur lui-même prend la parole pour expliquer son œuvre qui est en fait une brève symphonie en trois mouvements utilisant l’orchestre straussien divisé en petits groupes d’instruments incluant notamment d’insolites heckelphones et tubas wagnériens. Le titre latin évoque une voie imaginaire autour du Léman, nous ramenant au VIe siècle, au moment où un tsunami appelé ‘tauredunum’ ravagea la Romandie en 563. Sous ce prétexte historique, la musique reste abstraite dans une forme conventionnelle où se glisse une mélodie d’Emile Jaques-Dalcroze, C’est si simple d’aimer, reflétant simplement un attachement de Richard Dubugnon à sa région natale. 

Sous la direction de Bertrand de Billy, l’Orchestre de la Suisse Romande fait miroiter la première séquence, Pace et temeritas, comme une surface de lac que trouble le violon solo dans le suraigu auquel répondront clarinettes, flûtes et trompettes dégringolant vers le Tauredunum cataclysmique ponctué par les cloches et la percussion. La progression menée par les cuivres débouche sur un choral où le hautbois cite le Cantique suisse, les tubas wagnériens, l’extrait de Jaques-Dalcroze. Puis Vacua mortis n’est plus que désolation et sonorités éparses que les cordes rassembleront généreusement en une majestueuse passacaille comme un retour à la vie. Alors que le discours se dilue progressivement, réapparaît le violon solo toujours dans la tessiture haute, cédant le pas au célesta qui égrène C’est si simple d’aimer… Et le public, totalement conquis, laisse éclater des salves de hourras ô combien mérités. Que donnerait-on pour découvrir régulièrement de telles créations vivifiantes, allant à l’encontre d’innovations pseudo-intellectuelles aussi bruyantes qu’ennuyeuses !

En début de soirée, Bertrand de Billy avait présenté le Concerto pour sept instruments à vent, timbales, percussion et cordes de Frank Martin, commandé par la Société de musique de Berne qui en donna la première exécution en octobre 1949. Ici le concertino inclut la flûte de Loïc Schneider, le hautbois de Nora Cismondi, la clarinette de Dmitry Rasul-Kareyev, le basson de Céleste-Marie Roy, le cor de Julia Heirich, la trompette de Stephen Jeandheur, le trombone d’Alexandre Faure et les timbales d’Arthur Bonzon. Hautbois et clarinette jouent de virtuosité gouailleuse pimentée par le rubato de la flûte afin de développer un Allegro vigoureux qu’estompera l’Adagietto aux inflexions étranges. Et l’Allegro vivace conclusif sera mené tambour battant par la trompette entraînant le tutti dans une marche brillante. 

En seconde partie de programme, la formation au grand complet, déjà sollicitée par la pièce de Richard Dubugnon, propose Eine Alpensinfonie (la Symphonie alpestre) que Richard Strauss avait créée lui-même à Dresde le 28 octobre 1915. D’emblée s’instaure une atmosphère nocturne enveloppant la montagne d’un profond mystère que dissipera le lever du jour en un ample legato ; en coulisse, les quatre cors et la trompette amorcent la montée vers les sommets dont les cordes chantent la quiétude agrémentée par le cor anglais, les bassons et les cloches de vaches. Mais les clarinettes astringentes assombrissent le ciel, avant que n’éclate un orage démesurément amplifié par la machine à vent. Le violon solo proclame le retour du soleil, alors que l’orgue et les vents ébauchent un choral panthéiste que la nuit finira par annihiler. 

Crédits photographiques :  MarcoBorggreve

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 11 décembre 2019

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