A Lausanne, une éblouissante Doña Francisquita

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Avec ses livrets en langue espagnole ou catalane et ses dialogues parlés, la ‘zarzuela’ ne figure que rarement à l’affiche des théâtres de nos régions. Mais Eric Vigié, le directeur de l’Opéra de Lausanne, s’y intéresse vivement et a déjà présenté en 2009 Pan y toros de Francisco Barbieri. Et en cette fin janvier, il nous propose l’ouvrage majeur d’Amadeo Vives, Doña Francisquita , créé au Théâtre Apolo de Madrid le 17 octobre 1923 avec un succès triomphal qui se maintiendra durant vingt ans en totalisant 5210 représentations à Madrid, Barcelone et Buenos Aires avant d’être exporté dans plusieurs villes de France, à la Monnaie de Bruxelles et à l’Opéra-Comique qui devra annuler la première au moment où éclatera la Guerre Civile en Espagne. 

Comme esquissé précédemment, le problème d’une telle œuvre est l’abondance des dialogues dans une langue qu’une bonne part du public d’ici ne comprend pas et qu’une traduction simultanée ne restitue qu’avec peine. Pour l’éluder, le metteur en scène Lluis Pasqual décide de les supprimer en transposant l’action en 1934 dans un studio d’enregistrement dont les micros ne captent que les numéros musicaux, alors que le producteur/réalisateur, campé par l’acteur Carlos Henriquez, contacte par téléphone le Premier Ministre, soucieux d’obtenir un show brillant sans trop de parlote ; ceci suscite aussi la colère de la mère de Francisquita, et de Don Matias, le père de Fernando qui, à raison dans ce spectacle, estiment que leurs rôles respectifs sont limités à la portion congrue. Mais le deuxième acte développe l’action réelle sur un plateau de tournage. Sous d’habiles jeux de lumières conçus par Pascal Mérat, le peuple madrilène portant de magnifiques costumes dessinés par Alessandro Andujar (qui est aussi le concepteur des décors) fête le Carnaval en applaudissant à tout rompre huit danseurs de qualité exécutant la chorégraphie de Nuria Castejon. Se clarifie aussi la situation sentimentale de Francisquita, éprise de Fernando Soler, étudiant un peu emprunté qui n’a d’yeux que pour l’actrice Aurora ; à la stupéfaction générale, Don Matias déclare sa flamme à la jeune femme et non à sa mère qui s’en vexe amèrement. Francisquita en profite pour éprouver les sentiments du fils qui a tôt fait de comprendre son erreur en délaissant la frivole Aurora qui se consolera dans les bras de Lorenzo Perez puis de Cardona, l’ami complice de Fernando. Au dernier tableau, tandis que l’on répète, en 2020, la nouvelle production, est projeté sur un écran le film de 1934 réalisé par Hans Behrendt. Les choses s’arrangeront à la suite d’un émoustillant fandango et de la ‘Chanson du Marabù’ entonnée par Cadorna et Aurora, laissant sur la touche le pauvre Lorenzo. Et Don Matias reconnaîtra sa bévue monumentale en laissant son fils épouser Francisquita. 

La musique est elle aussi à la fête grâce au chef espagnol Roberto Forés Veses qui, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne et du Chœur de l’Opéra de Lausanne (préparé par Jordi Blanch Tordera) sait faire valoir une somptueuse écriture au niveau de l’orchestration et des ensembles à la veine mélodique généreuse. La jeune Leonor Bonilla a la fraîcheur de timbre du lirico leggero pimentant de suraigus brillants son Air du Rossignol, tout en jouant les fines mouches avant de céder à la passion que lui déclare fougueusement le Fernando d’Ismael Jordi, ténor au coloris solaire dispensant ses grands moyens mais irisant ses phrasés sous le coup d’une palpable émotion. Avec le grain corsé d’une Carmen, Florencia Machado personnifie une Aurora capiteuse, manipulant les galants avec une dextérité calculée dont s’accommoderont tant bien que mal le Cadorna du bouillonnant Pablo Garcia Lopez et le Lorenzo retenu du baryton Mohamed Haidar. Et l’envahissante Francisca de Milagros Martin va jusqu’à dérider le Don Matias de Miguel Sola, vieux beau si touchant. Au rideau final, un véritable délire s’empare du public ravi de sa découverte !

Paul-André Demierre 

Lausanne, Opéra, première du 26 janvier 2020

Crédits photographiques : Alain Humerose

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