Eugen Jochum de Philips vers Decca Eloquence

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Eugen Jochum - Les enregistrements orchestraux chez Philips. Œuvres orchestrales de Ludwig van Beethoven (1770-1827) dont l’intégrale des 9 symphonies, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Franz Schubert (1797-1828). Robert Schumann (1810-1856), Richard Strauss (1864-1949), Richard Wagner (1813-1883), Anton Bruckner (1824-1896), Rudolf Mengelberg (1892-1959). Œuvres pour orgue solo de Nicolaus Bruhns (1665-1697), Louis-Claude Daquin (1694-1772), Johann Sebastian Bach (1685-1750). Adalbert Meier, aux orgues de l’Abbaye bénédictine d’Ottobeuren. Liselotte Rebmann, soprano ; Anna Reynolds, mezzo-soprano ; Annie Woud, alto ; Anton de Ridder, ténor ; Gerd Feldhoff, basse. Veronica Jochum von Moltke, piano. Netherlands Radio Chorus. Concertgebouworkest Amsterdam, Bamberger Symphoniker, Berliner Philharmoniker, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, direction : Eugen Jochum. Enregistré entre le 28 mai 1951 et le 15 décembre 1969 au Concertgebouw d’Amsterdam, à Bamberg, à la Jesus-Christus-Kirche de Berlin, la Herkulessaal de Munich, l’Abbaye bénédictine d’Ottobeuren en Bavière. Édition 2020. Livret en anglais. 1 coffret 15 CD Decca « Eloquence » 4840600.

Ce coffret est une vraie bénédiction, et il fallait bien que ce soit Eloquence Australie qui nous l’offre : en effet, si Deutsche Grammophon a bien inclus les gravures vocales et lyriques Philips dans son intégrale Eugen Jochum en deux gros volumes, il a omis les enregistrements orchestraux de l’illustre chef chez le label néerlandais, et évidemment Eloquence nous les propose ici de manière éclatante, ce qui, associé également au coffret Icon de Warner Classics ex-EMI, nous permet d’avoir une appréciation globale de l’art du grand chef bavarois.

Après avoir étudié la composition au Conservatoire de Munich, Eugen Jochum (1902-1987) se tourne rapidement vers la direction d’orchestre, sous la houlette de Siegmund von Hausegger (1872-1948), le chef d’orchestre même qui a donné la première exécution de la version originale de la Symphonie n° 9 de Bruckner, en a fait le premier enregistrement en 1938 pour EMI-Electrola, et dont l’influence est indéniable dans le développement précoce des affinités brucknériennes de son élève. En 1934, Jochum succède à Karl Böhm comme Generalmusikdirektor à Hambourg : il y est donc responsable à la fois de l’opéra et des concerts donnés par l’Orchestre Philharmonique de Hambourg. Il a occupé ce poste important jusqu’en 1949, et c’est d’ailleurs à cette période qu’il a réalisé ses toutes premières gravures 78 tours, notamment brucknériennes, pour le label allemand Telefunken.

Parce qu’il avait gardé ses distances avec le régime nazi, Jochum était considéré par la direction du Concertgebouworkest d’Amsterdam comme un possible partenaire : entre 1941 et 1943, il a développé une relation privilégiée avec lui. Une amitié s’est même renforcée entre Jochum et Rudolf Mengelberg (1892-1959), neveu de l’illustre Willem. Il a régulièrement interprété de la musique de compositeurs néerlandais, dont le Magnificat de Rudolf Mengelberg dont il subsiste ce rare enregistrement du 26 avril 1952 : œuvre brève et sans prétention mais plutôt originale dans ses sonorités et son harmonisation.

Toutefois, le cœur de ce coffret est bien évidemment l’intégrale des Symphonies de Beethoven réalisée entre mars 1967 et juin 1969, ainsi que l’enregistrement live de la Symphonie n° 5 de Bruckner, les 30 et 31 mai 1964 à l’Abbaye bénédictine d’Ottobeuren, le tout avec le Concertgebouworkest qui ne deviendra Royal qu’en 1988. Ces gravures des Symphonies de Beethoven, d’un lyrisme particulièrement radieux et chaleureux dans leur conception, rehaussé par une magnifique prise de son détaillée et transparente, constituent la deuxième et préférable intégrale des trois : la première chez DG (dont les Symphonies n° 3, 6, 7 et 9 sont en mono, les autres en stéréo), bien que très estimable, est techniquement quelque peu hétérogène ; la troisième, chez Warner-EMI, se révèle plus constamment dramatique. Et plus que l’avare Karajan, Eugen Jochum respecte quelques reprises -mais pas toutes, notamment la très rarement effectuée du premier mouvement Allegro con brio de la Symphonie n° 3 « Eroica », suivant ainsi l’exemple de 1960 en stéréo à Leipzig du pionnier Franz Konwitschny.

On sait l’importance incontestée d’Eugen Jochum dans l’acceptation actuelle de la musique de Bruckner chez les mélomanes : de ses quatre versions commerciales de la Symphonie n° 5 en si bémol majeur WAB 105 de Bruckner (Telefunken, 1938 ; DG, 1958 ; Philips, 1964 ; EMI - Warner Classics, 1980), celle ici présente du Concertgebouw est finalement la plus actuelle car la plus rapide, la plus nerveuse, la plus dynamique avec ses changements imperceptibles de tempo, et la plus lisible due à l’excellence de la prise de son, pourtant en présence d’un public toutefois particulièrement silencieux : c’est l’un des rarissimes enregistrements live que Philips ait accepté de mettre en commerce à cette époque.

On passera aisément sur le bonus des trois pages pour orgue dont l’interprétation lente d’Adalbert Meier est très datée (surtout lourde et pénible dans Bach). Elles constituaient la quatrième face du coffret LP Bruckner original dont la notice, pour la petite histoire, mentionnait en outre la présence des sonneries des cloches de l’abbaye et de l’allocution de Dom Maier O.S.B., Abbé du monastère : finalement, il n’en était rien, pas plus que dans cette édition en CD !…

Les autres œuvres sont interprétées avec le même niveau d’excellence, en particulier les pages de Richard Strauss, qui trouvent ici un concurrent à armes égales vis-à-vis des spécialistes confirmés de l’époque Clemens Krauss, Karl Böhm, Fritz Reiner et autre George Szell. Et cerise sur le gâteau, on a même droit aux deux versions du diptyque Don Juan - Till Eulenspiegel, l’une mono d’avril 1952, l’autre stéréo de juin 1960.

Son : 9 - Livret : 9 - Répertoire : 9 - Interprétation : 9

Michel Tibbaut

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