1603 : l’Office des défunts de Victoria en hommage à Marie d’Autriche

par

Tomas Luis de Victoria (1548-1611) : Officium defunctorum. La Grande Chapelle, direction Albert Recasens ; Schola Antiqua, direction Juan Carlos Asensio. 2019. Livret en espagnol, en anglais, en français et en allemand. Textes sacrés en latin, avec traduction en anglais et en français. 103.18. Un album de deux CD Lauda LAU 020.

Fille aînée de Charles-Quint, sœur de Philippe II Roi d’Espagne, épouse de l’Empereur Maximilien II de Habsbourg, l’Impératrice Marie d’Autriche quitte Vienne en 1582, six ans après le décès de son mari et s’installe à Madrid. Animée par de profondes convictions religieuses, elle entre au couvent des Déchaussées royales où elle passe le reste de ses jours, tout en poursuivant une importante activité publique. Elle décède le 26 février 1603. Depuis 1587, le compositeur Tomas Luis de Victoria était à son service, après un séjour à Rome de plus de vingt ans. La remarquable et érudite notice (neuf pages au texte serré) signée par Albert Recasens, qui dirige La Grande Chapelle, signale que les documents le mentionnent uniquement comme aumônier et organiste du couvent, mais Victoria aurait affirmé lui-même avoir servi comme maître de chapelle de façon informelle

Au cours de cette période qui court jusqu’à sa disparition en 1611, Victoria ne publie que deux œuvres, un livre de Missae, magnificat, motecta, psalmi en 1600 et l’Officium defunctorum en 1605, composé à l’occasion des funérailles de Marie d’Autriche. Un autre texte, signé par le philologue de l’Université de Navarre Rafael Zafra Molina, explique en détails, sur la base d’une relation publiée à l’époque, le déroulement de ces obsèques préparées par la Compagnie de Jésus. On saluera comme il convient le double travail exemplaire de précieuse documentation historique et circonstancielle que le mélomane se fera un devoir de découvrir avant audition. On y découvre notamment la manière dont les hommages ont été rendus à la défunte, sous forme privée puis de façon publique, à Valladolid les 20 et 21 mars ; il y eut encore des cérémonies municipales et des funérailles particulières organisées les 21 et 22 avril à Madrid par la Compagnie de Jésus, dont Tomas Luis de Victoria avait été élève. 

 Cet enregistrement se présente en deux parties, un CD pour chacune, qui correspondent aux deux journées de cérémonies, dont vêpres, matines et laudes pour lesquelles manque la sélection effective des données musicales. Des pages du répertoire antérieur du compositeur ont été sollicitées pour une mise en place liturgique de ce Vigiliae defunctorum, gravé ici en première mondiale. On y trouve notamment la lecture du déchirant premier nocturne (Taedet animam meam). Le second CD est réservé à la Missa pro defunctis, au cours de laquelle on note l’insertion du motet Versa est in luctum. Dans ce vaste édifice global, polyphonie et plain chant alternent dans une atmosphère à la fois solennelle et pleine d’intimité, avec une piété recueillie où l’imploration et la tendresse architecturale viennent soutenir la douleur avec une retenue pudique et apportent une sensation d’apaisement. On peut considérer que l’approche est austère, mais le tissu vocal distillé par les sopranos, contreténors, ténors ou basses est d’une dignité méditative qui en impose. La disposition des voix auréole le tout dans un contexte au lyrisme discret. Dans sa notice, Albert Recasens souligne le fait que Victoria s’intéresse par-dessus tout, au pouvoir de la rhétorique. Celle-ci développe toute son esthétique expressive dans un Introït poignant, un Kyrie plaintif, un Offertoire dont le raffinement est éloquent ou dans le motet Versa est in luctum, très touchant dans son évocation du deuil. Quant au Libera me de l’absolution, il adresse à la destinée un questionnement qui rapproche l’homme de l’éternité, dans une vision surnaturelle et impalpable.     

Cet Officium defunctorum, qui incite à l’introspection et est aussi un hommage au chant grégorien, a déjà été bien servi par le disque. Sans entrer dans le détail, on se souviendra des émouvants Sixteen menés par Harry Christophers chez Coro en 2005, ou plus encore de la version du Collegium Vocale de Philippe Herreweghe chez Phi en 2012, sidérant de transparence. Cette même optique diaphane a été choisie par la Grande Chapelle et son directeur Albert Recasens, un ensemble qui a déjà honoré à plusieurs reprises la musique espagnole de la Renaissance. Avec la participation de la Schola Antiqua de Juan Carlos Asensio, qui cisèle le plain chant avec un art consommé, cet enregistrement effectué en octobre 2019 à Tolède, au Monastère de Santo Domingo el Real, dans un contexte sonore irréel, nous plonge dans un univers d’un profond dépouillement, sincère et naturel, qui prend souvent des colorations envoûtantes. Une belle réussite, que l’on placera juste après la version de Philippe Herreweghe.

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

  

 

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