La Bonne Chanson : un portrait de Suzanne Danco

- Publié le 4 décembre 2020 à 14:37
Decca
Un coffret réunit tous ses récitals gravés pour Decca et Philips entre 1947 et 1956, où le répertoire français côtoie l'allemand : 8 CD à la gloire de Suzanne Danco, la plus discrète des sopranos.

A une Suzanne Danco (1911-2000) de vingt-cinq ans, qui possède — écrit-il — une « voix de mezzo colorature comme il en existe peu », Erich Kleiber conseille de parfaire sa formation à Prague, auprès de Fernando Carpi. Cinq ans plus tard, la voix s’envole plus facilement vers l’aigu sans avoir perdu ses notes sombres : la jeune artiste fait ses débuts à Gênes, en Fiordiligi. Elle en grave le « Come scoglio » en 1947 à Milan sous la baguette de Jonel Perlea, affrontant les sauts de la ligne vocale avec un mélange d’aplomb et d’agilité, une fraîcheur qui vont conquérir Aix-en-Provence et Glyndebourne quelques temps plus tard. Ernest Ansermet, qui en est fou, lui met entre les mains la partition de Schéhérazade de Ravel : l’intensité du verbe, la lumière changeante du timbre nous valent un sommet absolu, ce premier enregistrement de 1948, avec la Société des concerts, l’emportant en souplesse et en détail sur le remake stéréo de 1954 (plus de lumière dans la voix, mais aussi moins de legato), avec un Orchestre de la Suisse romande aux timbres parfois bien verts.

Talent tous azimuts

Le chef helvète en fait sa Mélisande (et quelle !), sa Concepcion de L’Heure espagnole, sa Princesse et son Rossignol de L’Enfant et les sortilèges, la veut dans Le Martyre de saint Sébastien de Debussy, Le Roi David d’Honegger, pour le Pie Jesu du Requiem de Fauré. Autant d’interprétations fameuses, dans lesquelles picore intelligemment le dernier CD, en même temps que dans les Noces de Kleiber, l’Orphée et Eurydice de Rosbaud, le Don Giovanni de Krips (où elle fut, Dieu merci, appelée à remplacer une Rysanek empêchée)…

Son premier LP, enregistré en 1949 sous la baguette d’Alberto Erede, est d’ailleurs un « Operatic Recital » dont les héroïnes mériteraient parfois un peu plus de chair (« trop heureuse » cette Louise, vraiment ?) mais ont la vocalise hardie, il n’y a qu’à jeter une oreille à cette Violetta bien peu poitrinaire. Ah ! cette Manon poignante d’hésitation et de remords, au bord des larmes devant sa « petite table »…

Les Cantates BWV 51 et 202 de Bach, sous le bâton de Munchinger, portent leur âge et feront hausser les épaules. Mais l’intensité de ce soprano vibratile tire l’oreille dans les arias.

Comme dans le Bist du bei mir, apparié à l’orgue de Jeanne Demessieux, ou cet Amarilli mia bella de Caccini chéri par la cantatrice, qui en fait au concert un de ses bis favoris et qu’elle grave par deux fois (1947 et 1952).

Les rayons et les ombres

C’est dans la mélodie que ce ciselé, cette clarté du mot, cette palette de nuances aux mille délicatesses vont faire un malheur. Les frémissements mis aux Nuits d’été de Berlioz (ce Spectre de la rose !), le souple mystère des Trois poèmes de Stéphane Mallarmé chez Ravel, sont des joyaux. Comme tout ce que le duo formé par Suzanne Danco et le pianiste Guido Agosti va graver entre 1949 et 1956 : Fauré (La Bonne Chanson), Debussy (Ariettes oubliées, Fêtes galantes, et même Bilitis…), un bouquet partagé entre Gounod et Bellini, mais aussi Mozart, Schubert (le coffret dévoile une prise alternative de Wohin), Schumann (Liederkreis et Dichterliebe d’anthologie, aux ombres très soignées), Wolf ou Strauss.

Prenons alors comme un bonus les dix-huit pastilles de « L’Album de musique offert par G. Rossini à Mademoiselle Louis Carlier », pour lequel Guido Agosti a laissé le clavier à Molinari-Pradelli : même si ces pièces destinées à l’intimité du salon appelleraient sans doute moins de gravité, elles brossent un panorama des musiciens à succès en 1835.

« Suzanne Danco, The Decca Recitals ». Eloquence, 8 CD. Diapason d’or

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