Benjamin Grosvenor : l’héritier de Liszt

- Publié le 3 mars 2021 à 18:31
Photo : Andrej Grilc / Decca
Vingt-huit ans. Dix ans chez Decca. Plusieurs Diapason d'or. Entre Brexit et pandémie, Benjamin Grosvenor, pour son nouvel opus discographique, revient à Liszt comme on étreint un proche disparu : avec un amour infini.

A quel âge cesse-t-on d’être un jeune prodige et devient-on artiste de plein droit ? « C’est quelque chose qu’on me demande tout le temps. Pas moyen d’y échapper », éclate-t-il de rire. Le petit génie, cueilli en culottes courtes comme l’héritier présomptif du piano britannique, doit se justifier d’avoir grandi : « déjà, quand on me considérait comme un enfant prodige, j’aspirais à ce qu’on me traite comme un pianiste normal. » A quel âge, donc ? « Je ne sais pas, la réponse appartient à celui qui pose la question. » Benjamin Grosvenor a conservé de l’enfance une candeur bienveillante, une manière de parler qui ne le place jamais au centre de la conversation. Son abondante discographie – elle – suffirait à dissiper les doutes résiduels. Muré dans le silence pandémique, il évoque Liszt comme l’objet d’un culte familial, dans le deuil de ceux qui ont contribué à lui transmettre ce sacrement sonique, ses grands-parents maternels.

Ce dernier album est dédié à votre grand-père ?

Benjamin Grosvenor : Mon grand-père, en plus d’être mélomane, était pianiste amateur. Il a longtemps caressé le désir de devenir concertiste mais le soutien familial lui a fait défaut. Liszt et, dans une moindre mesure Rachmaninov, lui plaisaient plus que tout. Mon grand-père a longtemps appartenu à la Société Franz Liszt de Londres. C’est grâce à lui que ma mère s’est mise au piano avant de devenir professeure de musique. Ce fut aussi la source de ma propre pratique de l’instrument. S’il m’a fait découvrir de nombreux compositeurs, les premiers furent Chopin et Liszt. Je me souviens de séances de travail autour d’œuvres comme Liebestraum. Plus tard il m’a initié à la Sonate en si mineur ainsi qu’à d’autres pièces de Liszt. Il m’avait offert les Rhapsodies hongroises par György Cziffra que je vénère. Malheureusement mes deux grands-parents maternels se sont éteints dans les premiers mois de 2020, peu avant que n’éclate la pandémie. Il m’a donc semblé logique, au moment de dessiner le programme de ce nouvel enregistrement, que celui-ci soit un hommage. La transcription de l’Ave Maria qui clôt l’album devait même être jouée lors de leur service funéraire. Hélas ! cela ne fut pas possible pour les raisons que l’on sait.

A part Cziffra, avez-vous eu d’autres maîtres sur microsillon ?

B.G. : J’ai commencé à m’intéresser aux enregistrements quand j’avais onze ans. Un ami m’a fait découvrir quelques géants du passé Cortot, Cherkassky, Rosenthal et Friedman. Avant, je m’attachais surtout aux légendes vivantes comme Martha Argerich où Grigory Sokolov. Mon grand-père m’avait transmis sa vénération d’Horowitz et de Rubinstein. Plus fondamentale que tout fut ma découverte de la Sonate n° 3 de Chopin par Dinu Lipatti, qui incarne à mes yeux une sorte de perfection musicale. A cette époque, je n’avais encore jamais entendu l’œuvre et j’ai eu très envie de la jouer. Mes professeurs ont estimé que c’était prématuré et il m’a fallu patienter encore deux ou trois ans.

Où trouve-t-on les clés pour explorer une forteresse aussi imprenable que la Sonate de Liszt ?

B.G. : C’est sans le moindre doute une pièce monumentale et terriblement difficile. Outre le grand nombre de défis qu’elle présente, l’enjeu reste d’appréhender sa structure tentaculaire sans proposer une lecture trop académique. C’est une pièce cyclothymique d’une envergure émotionnelle considérable où la lutte constante entre les forces du bien et du mal réclame imagination, fantaisie, coloration et sens de l’architecture des plans. Sans tout cela, la vie n’émerge pas de la partition. Au fil des ans, je me suis graduellement rendu compte que cette Sonate tolérait une infinité de lectures, une infinité d’approches parfois antinomiques et – par voie de conséquence – que chacun de ses enregistrements pouvait prétendre apporter quelque chose à la discographie. J’ai toujours envisagé avec plaisir l’idée selon laquelle l’œuvre naîtrait de Faust : les thèmes représenteraient les personnages de Méphistophélès, de Marguerite et de Faust. L’idée est intéressante mais je mentirais en disant qu’elle occupe une place centrale dans ma compréhension de la sonate. La matière musicale est suffisamment foisonnante, je ne ressens pas le besoin de m’accrocher à des éléments programmatiques.

Lire la suite dans le numéro 698 de Diapason, actuellement en kiosque.

Britten : Concerto. Orchestre philharmonique de Radio France, Krzysztof Urbanski. Le 5 mars, en direct sur France Musique.

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