Ils ont quelque chose d’immensément touchant, serrés l’un contre l’autre comme deux enfants perdus dans un espace trop grand : Martha Argerich et Daniel Barenboim, à quatre mains sur un piano, dans le désert du Grand Théâtre de Provence privé de public. Leurs profils jumeaux, leurs mains conjointes, appellent à la concorde.
Il est 14 heures, mardi 6 avril, au-dehors, un mistral glacial arrache les jeunes feuilles des arbres, affolant les choucas en bande, faisant claquer les percussions citadines. Dans la pénombre, les pianistes ont attaqué à brûle-pourpoint la Sonate pour piano à quatre mains, K.521, de Mozart. Une musique bienfaisante, qui coule aussi naturellement que le sang d’Argentine en eux, qui se connaissent depuis le temps de leur enfance prodige à Buenos Aires. Si chacun a longtemps mené de son côté sa carrière, la vie les a rapprochés depuis quelques années. Lisent-ils aussi la musique en espagnol ? Leurs mains sont les deux battants d’une espagnolette.
Une fraîcheur émane de ces deux presque octogénaires. Leur Mozart file clair et franc, avec ce qu’il faut de courbure dans le phrasé, de souffle dans la mélodie, de retenue dans l’expression. Daniel Barenboim tient la partie supérieure, gère le tournage de pages, ôte dès que la partition le lui permet son bras gauche de l’aire de jeu de sa partenaire, soit qu’il reste le coude en l’air, soit qu’il pose sa main sur le siège derrière lui. Martha Argerich, souvent, tourne son regard vers lui dans une sorte de consultation barométrique. La partie centrale de l’« Andante » les jettera ensemble sous des ciels plus tourmentés, avant la promenade de santé de l’« Allegretto », que les deux compères raffineront à l’infini.
L’atmosphère concentrée des Epigraphes antiques, de Debussy, sonnera comme une rupture, les six pièces se fondant dans un onirisme parsemé de péripéties, où prédomine un certain dédain de l’effet. C’est avec les douze pièces des Jeux d’enfants, de Georges Bizet – lointainement apparentées au Schumann du Carnaval, op. 9, et des Scènes d’enfants, op. 15 –, que se terminera le concert, un florilège tour à tour grave et léger, fougueux ou rêveur, qui verra les deux pianistes échanger leurs places, Martha prenant le haut du clavier pour Le Volant et le galop final du Bal.
La ronde spirituelle de Barbara Hannigan
C’est une autre danse qu’a conduite, la veille, lundi 5 avril, Barbara Hannigan. Entourée d’une dizaine de musiciens dans une scénographie de lumières sépulcrale, la soprano et chef d’orchestre a ordonné le rituel chorégraphié d’une ronde spirituelle intitulée « In Memoriam », mêlant, à l’instar des cabinets de curiosités, formes, époques, styles.
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