Styles américains variés pour le Symphonique de Lucerne et James Gaffigan 

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Americans. Leonard Bernstein (1918-1990) : West Side Story, danses symphoniques. Charles Ives (1874-1954) : Symphonie n° 3 « The Camp Meeting ». Samuel Barber (1910-1981) : Overture fot ‘The School of Scandal’ op. 5 ; Toccata festiva, pour orgue et orchestre. Ruth Crawford (1901-1953) : Andante pour cordes. Paul Jacobs, orgue ; Orchestre Symphonique de Lucerne, direction James Gaffigan. 2018. Notice en français, en anglais et en allemand. 71.02. Harmonia Mundi HMM 902611.

Fondé en 1805, l’Orchestre Symphonique de Lucerne est le plus ancien de Suisse. Des chefs comme Thomas Dausgaard, Lawrence Foster, Marek Janowski, Andris Nelsons ou Jonathan Nott se sont produits à sa tête, et des solistes comme Gidon Kremer, Gautier Capuçon, Isabelle Faust, Martha Argerich ou Hélène Grimaud y ont été accueillis. Au début de notre siècle, cette phalange a élargi le nombre de ses instrumentistes et a engagé en 2011 le chef d’orchestre américain James Gaffigan, qui la dirige depuis dix ans, avec, à la clef, une série d’enregistrements de qualité consacrés à des pages symphoniques ou concertantes de Beethoven, Rachmaninov, Dutilleux, Saint-Saëns, Rihm… Cette fois, c’est un programme varié de musique américaine du XXe siècle qui nous est offert, dans un savant mélange de styles diversifiés. L’enregistrement a été effectué en novembre 2018.

Né à New York en 1979, James Gaffigan, qui a remporté en 2004 le premier prix du Concours international de direction d’orchestre Georg Solti, a été assistant de Franz Welser-Möst à Cleveland de 2003 à 2006, puis chef associé à San Francisco de 2006 à 2009, un poste que Michael Tilson Thomas, en charge de la formation californienne, avait créé à son intention. En fonction à Lucerne, Gaffigan a été aussi chef invité régulier de l’Orchestre Philharmonique de la Radio néerlandaise (très beaux CD de symphonies de Prokofiev), a conduit maints orchestres internationaux (Amsterdam, Londres, Paris, Dresde, Philharmonie tchèque…) et s’est produit dans des maisons d’opéras, notamment à Vienne, à Glyndebourne ou au Metropolitan. Cette année, il a été désigné en qualité de directeur musical du Festival de Verbier et nommé chef invité de l’Orchestre symphonique et de l’Opéra de Trondheim, en Norvège. 

Le présent CD invite à une rencontre avec quatre compositeurs du pays natal de Gaffigan. Le programme s’ouvre avec la palpitante suite symphonique de West Side Story, créée par le Philharmonique de New York sous la direction de Lukas Foss le 13 février 1961, quatre ans après la première de l’œuvre à Broadway. Les neuf mouvements de cette partition irrésistible sont représentatifs des trouvailles stylistiques et du swing de Leonard Bernstein, avec un Somewhere rêveur, un Mambo coloré, un Cha Cha finement gracieux, une Cool Fugue analytique ou un Rumble inquiétant. La pulsation rythmique est bien rendue, les atmosphères sont typées, et la phalange suisse se positionne dans un univers qu’elle clarifie avec un caractère subtil. On pourra cependant lui préférer le compositeur lui-même avec la Philharmonie de New York en 1963 (Sony) qui accentuait le poids dramatique du sujet, ou la folie engagée de Michael Tilson Thomas avec le Symphonique de Londres en 1993 (DG). La Symphonie n° 3 « The Camp Meeting » de Charles Ives est basée sur des thèmes religieux étalés sur trois mouvements destinés à un petit orchestre. On connaît la biographie de ce créateur atypique qui combinait la composition avec des activités commerciales fructueuses, et qui était un organiste d’église de grande qualité. Cette symphonie (1901-1904) s’inspire, dans chacune de ces parties, d’hymnes et de pièces pour orgue. Le premier mouvement, Old Folks Gatherin’ évoque une assemblée de personnes d’un certain âge unies autour d’un cantique. Les enfants prennent la place dans le Children’s Day qui suit, toujours dans la même ligne confessionnelle, avant que la Communion n’entame une méditation ponctuée par des carillons de cloches. Ives allait attendre longtemps la reconnaissance de son talent : la Symphonie n° 3 n’a été créée que quarante ans plus tard, en 1946, et a été couronnée du Prix Pulitzer dans la foulée. Les Lucernois de Gaffigan proposent de cette page issue de cantiques populaires une version lyrique et fluide, et donnent à l’évocation des cloches finales la rumeur qu’elle réclame.

C’est cependant dans la suite du programme que l’auditeur trouvera son vrai bonheur d’écoute. Deux œuvres de Samuel Barber entourent un bref Andante pour cordes (un peu plus de quatre minutes) que l’on doit à Ruth Crawford, originaire de l’Ohio, qui connut une existence liée avant tout à l’enseignement et à des compilations de chansons traditionnelles américaines. Ce n’est qu’après une vie trop brève que l’originalité de sa démarche musicale a été reconnue. L’Andante est un arrangement pour cordes du troisième mouvement de son Quatuor de 1931. Pleine de dissonances, cette pièce se développe dans un climat à la fois solennel et mystérieux qui entraîne un sentiment hypnotique. De Samuel Barber, dont le fameux Adagio pour cordes a trop occulté le reste de son catalogue, on apprécie l’Overture to ‘The School of Scandal’ créée en 1933. Cette première page symphonique du compositeur, brillante et dynamique, avec, en sa partie centrale, une mélodie servie par le hautbois, s’inspire d’une pièce de théâtre de Richard Brinsley Sheridan du même titre qui date de 1777. Gaffigan rend bien le côté satirique de cette « école de la médisance ». Le CD se termine par l’exubérante Toccata festiva pour orgue et orchestre de 1960, que Barber a écrite pour l’inauguration du nouvel instrument de l’Académie de musique de Philadelphie. Spectaculaire à souhait, avec de grandes envolées, des rythmes soutenus et une explosivité pleine de contrastes, cette Toccata de quinze minutes grandioses permet à l’organiste de déployer tout son art dans une cadence qui se souvient de Bach. L’Américain Paul Jacobs, né à Washington en 1977, célébré par la presse de son pays, enseigne à la Juilliard School depuis 2003 et est un interprète reconnu de Messiaen, mais aussi de partitions de notre temps dont il est un ardent défenseur. Il apporte à la dynamique de l’œuvre sa fougue et son engagement, que l’orchestre partage. C’est en tout cas le moment fort du disque.

Ce nouveau témoignage de la collaboration entre James Gaffigan et la phalange de Lucerne offre un programme original et significatif de diverses tendances de la musique américaine. A ce titre, et sans être prioritaire, il plaira aux amateurs de ce répertoire. Quant à Ruth Crawford, sa présence incite à la découverte d’autres partitions de cette créatrice.

Son : 8,5  Notice : 8,5  Répertoire : 8,5  Interprétation : 8

Jean Lacroix       

 

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