Les Fantaisies pour violon solo de Telemann : déclaration amoureuse

par

Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Douze Fantaisies pour violon solo, TWV 40:14-25. Gunar Letzbor, violon. Septembre 2020. Livret en anglais, allemand. TT 71’56. Pan Classics PC 10429

C’est un artiste belge, né voilà précisément cent ans, l’inoubliable Arthur Grumiaux (1921-1986), qui immortalisa en février 1970 la première grande intégrale de ces douze Fantaisies de Telemann. Une approche large mais souveraine, bien avant l’avènement des versions « à l’ancienne » gravées en tir groupé par Maya Homburger (1993), le jeune Peter Sheppard (sa version de 1994 chez Meridian) et Andrew Manze (Harmonia Mundi, même année). Viendront encore Rachel Podger (Channel Classics, 2012), Fabio Biondi sur son Gagliano napolitain de 1767 heureusement plus sobre qu’à l’accoutumée (Glossa, 2015). Voici cités les principaux dignitaires d’une discographie d’excellent niveau, même si ces pièces de 1735 n’ont pas attiré autant de prétendants que les Sonates et Partitas de Bach.

Dans le livret, Gunar Letzbor nous confie que c’est durant le confinement imposé en mars de l’an dernier qu’il a approfondi sa découverte de Telemann, qui auparavant lui semblait étranger. Les verrous sautèrent en jouant les Fantaisies plusieurs fois par jour, et en alternant les archets : celui fait par Martin Rainer, qu’il venait de recevoir avant l’état d’urgence, et son fidèle Daniel Latour que lui avait offert Reinhard Goebel avec qui il étudia et collabora. Nourri par ces révélations, le labeur solitaire conduisit à l’enregistrement de septembre, dans une petite salle de l’Abbaye de Saint-Florian, celle où est inhumé Anton Bruckner. En ses lignes, Gunar Letzbor détaille les circonstances de la session, notamment le soin accordé au placement des micros. Ce qui n’empêche pas d’estimer que la captation, certes agréable et chatoyante, laisse un peu flotter l’instrument dans l’acoustique.

Usant de ses qualités de pédagogue, l’ancien élève du Mozarteum de Salzbourg s’aventure ensuite à expliquer en quoi il possède « un son de violon spécial, personnel et reconnaissable ». Son propos, au demeurant très éclairant quant à l’accord de l’instrument, au choix des quintes pures, à la résonance des cordes par sympathie, vire à la sincérité impudique quand la notice se conclut par « pendant l’enregistrement, je sentais souvent le besoin d’arrêter de jouer pour embrasser mon violon avec gratitude, pour l’extraordinaire plaisir d’être autorisé à le jouer et l’entendre ». Rares sont les virtuoses qui confessent aimer s’écouter, mais il est vrai que ce splendide spécimen fait par Sebastian Klotz excuserait le narcissisme.

En tout cas, ces aveux rendent compte de l’interprétation par un éminent musicien qui ne décevra pas ses admirateurs : plantureuse, vouée à la couleur y compris dans les allusions au folklore polonais et tchèque qu’intégra Telemann. Le phrasé sophistiqué, enclin à saturer la résonance harmonique, s’étire dans des tempi parfois complaisants. Quitte à assouplir les mouvements de danse, mais légitimés par une vision épanouie, qui s’attache à scruter la polyphonie. Le fondateur de l’ensemble Ars Antiqua Austria, qui brilla dans de nombreux disques (depuis les Sonates de Biber en 1994, et incluant des pages solistes de Johann Paul von Westhoff et Johann Joseph Vilsmayr pour le label Arcana dans la décennie 2000) nous livre un témoignage qu’on sent aussi authentique qu’affectueux. Voire affecté. L’éloquence de son discours typé réservera peut-être ce CD aux mélomanes déjà familiers de l’œuvre. Cette exploration complète donc ce qu’on peut toujours considérer comme les deux jalons cardinaux : la lucide rhétorique de Manze, et Peter Sheppard dont la finesse, l’esprit, la sensibilité imprégnée des multiples influences des « goûts réunis » s’avère idéaux pour servir ce cahier avec une humilité, une simplicité qui ne sont pas le maître-mot du présent CD.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

 

 

 

 

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