La playlist de Tugan Sokhiev

- Publié le 24 septembre 2021 à 10:12
Le chef d'orchestre nous dit quels disques accompagnent les moments heureux ou plus sombres de son existence.
Le premier disque que vous avez écouté

Le premier disque que vous avez écouté

J’ai toujours entendu de la musique classique petit, mais le premier disque dont je me souvienne, vers huit ou dix ans, c’est l’énorme coffret de La Dame de pique dans la version du Bolchoï dirigée par Melik-Pashaïev, avec ses trois ou quatre vinyles et le grand livret d’accompagnement illustré. Rien de tel qu’un bel objet pour éveiller la curiosité enfantine, surtout si à sa monumentalité répond celle de la musique nous avions un opéra à Vladikavkaz, mais il devait s’en tenir à des productions plus légères.

Le disque qui vous a donné envie de faire de la musique

Toujours Tchaïkovski, la « Pathétique » par Svetlanov, à l’âge de quatorze ans. Il était le chef emblématique des dernières années de l’URSS, celui qu’on voyait le plus à la télévision. L’admiration qu’il m’inspirait ne m’a d’ailleurs jamais quitté. Sa première intégrale des symphonies à laquelle appartient cette Sixième, rééditée en CD, demeure pour moi un modèle de puissance dramatique et d’émotion maîtrisée.

Le disque que vous avez le plus écouté

Le Concerto pour piano de Schumann par Dinu Lipatti, dirigé par Karajan. D’abord parce que ce répertoire du premier romantisme est essentiel, pour un chef, à la compréhension de la musique de la fin du et du début du siècle, apogée de l’orchestre symphonique. Ensuite, et même si j’adore Martha Argerich dans la même œuvre, parce qu’il s’agit d’un des plus grands pianistes de l’Histoire, insuffisamment présent dans nos mémoires, unique par sa force, sa générosité, sa sensibilité.

Le disque que vous écoutez quand tout va mal

Bach, peut-être plus volontiers Le Clavier bien tempéré par Glenn Gould, mais aussi les concertos pour violon, hautbois, ou les Brandebourgeois. Sans doute davantage par les illustres anciens comme Gould et Oïstrakh qu’au clavecin ou sur cordes en boyaux, mais je n’en trouve pas moins une grande puissance d’évocation romantique à Gardiner aussi bien qu’à Karajan. La pureté de Bach permet de remettre de l’ordre dans l’émotion et y reconstruire un raisonnement.

Le disque idéal pour faire l’amour

Quand on a la musique pour métier, il y a des circonstances où l’on préfère ne pas en écouter c’est d’ailleurs la même chose au restaurant ! Mais le son par excellence du transport érotique et sensuel, c’est la rencontre entre Ella Fitzgerald et Louis Armstrong j’ai une immense admiration aussi pour Nina Simone, mais peut-être davantage pour ses ombres que pour son rayonnement solaire et simple.

Le disque pour faire découvrir la musique à un enfant

Quelle question… Pierre et le loup, évidemment ! Dans la version Melodiya avec laquelle j’ai grandi, et que tous les enfants écoutaient à l’école — pas besoin d’avoir des parents mélomanes à la maison. Je ne me rappelle absolument pas du nom de l’acteur ; les enfants s’en fichent, c’est juste un produit d’appel pour les adultes. Dans Le Petit Prince, Gérard Philippe fait la différence. Dans Pierre et le loup, ce qui compte, c’est que la clarinette fasse bien le chat !

Le disque à passer pour votre enterrement

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Les Vêpres de Rachmaninov. Ce versant de son œuvre, moins connu en Occident que sa musique pour piano, est ce que je préfère chez lui. S’y expriment sa profonde religiosité orthodoxe, sa philosophie de la souffrance et du pardon, l’inspiration déchirante et concentrée de son écriture vocale. Personne n’a dépassé, pour moi, la magnifique version dirigée par Valeri Polianski et son merveilleux Chœur du ministère de la Culture, dans de sublimes acoustiques de cathédrale.

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