Tendez l'oreille ! La musique atonale ... de Schubert, Brahms et Chopin

la modélisation d'un aspect des théories néo-riemanniennes
la modélisation d'un aspect des théories néo-riemanniennes
la modélisation d'un aspect des théories néo-riemanniennes
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Il existe une grille de lecture, une théorie, qui permet(trait) d'analyser certains passages chez Schubert, Brahms ou encore Chopin et de les lire comme atonaux. Les théories néo-riemanniennes envisagent certains enchaînement d'accords comme affranchis de l'attraction d'une tonalité. Pourquoi pas ?

Sujet compliqué aujourd’hui : la musique atonale. Je m’aperçois dans mon parcours que plus le temps passe, et plus ce qui m’intéresse sont : les transitions, dans la vie, dans l’art... Comment on passe le temps, comment on va d’un point A à un point B…. En musique, chaque période de l’histoire apporte son lot de règles et de solutions pour conduire le temps. A l’époque médiévale, c’est la modalité qui modelait la mélodie et ses intervalles pour mieux chanter une prière. Plus tard, c’est plutôt un jeu de tensions et de résolutions qui allait conduire notre oreille au gré des sonates et des symphonies, et puis, disons, au XXe siècle, on a tout mis dans un sac avec l’étiquette “atonal” dessus et puis c’est tout. 

Et aujourd’hui, Christophe, vous trouvez ça trop simple. 

Extrait 1 - Pierrot Lunaire, Arnold Schoenberg

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Voici le début "officiel", pour le grand public, de la musique atonale : en Autriche, au début du XXe siècle. On a essayé de résumer pour le grand public cette idée que tout à coup, le système tonal, le système de tension et de résolution qui a fait toute la carrière de Haydn et de Mozart, aurait explosé au début du XXe siècle, que les Viennois de la Seconde Ecole aurait officialisé la rupture avec le ré majeur, avec une déflagration aussi forte que celle qui a porté la balle de Gavrilo Princip vers la jugulaire de l’Archiduc François Ferdinand. 

Une nouvelle lecture grâce aux théories néo-riemanniennes

Les compositeurs romantiques auraient donc composé de l’atonal ? Oui, si on décide de lire certains passages comme de la musique atonale : certains passages musicaux arrivent à tenir debout sans être dirigés vers une résolution, vers une tonalité. Et grâce à une théorie récente… qui porte le nom de "théorie(s) Néo-Riemannienne(s)", du nom de Hugo Riemann, musicologue allemand de la fin du XIXe siècle, on peut interpréter certains passages consonants comme atonaux. Dans les années 80, on ressort ses écrits sur les accords parfaits de trois notes, les triades, et on dégage un principe extrêmement simple : au lieu de toujours aller vers do majeur, ou sol mineur, par exemple, on peut quand même construire un discours : mais en enchaînant les accords sur le principe de notes communes d’un accord à l’autre. On garde deux notes, on change une note et ça donne un nouvel accord. Pensez l’accord comme un triangle.

On garde deux notes, on en change une, et on se retrouve avec un nouvel accord
On garde deux notes, on en change une, et on se retrouve avec un nouvel accord

Et ainsi, vous avez des accords qui s’enchaînent bien… mais qui ne cherchent pas à être résolus vers une tonalité. Et une fois qu’on commence à relire avec les théories néo-riemanniennes tout le XIXe siècle, ce siècle considéré comme tout ce qu’il y a de plus tonal, à part à la fin avec Wagner et Liszt, c’est assez vertigineux : on s’aperçoit que tout le répertoire est truffé de petites inclusions atonales. Prenez Brahms, son double concerto pour violon et violoncelle : tous les accords s’enchaînent en transformant une note à la fois.

L'allure est très tonale, mais selon les théories néo-riemanniennes, ça ne l'est pas tant que ça
L'allure est très tonale, mais selon les théories néo-riemanniennes, ça ne l'est pas tant que ça

Il n’y a aucun doute sur les théories néo-riemanniennes, alors ? C’est là où le mot “théorie” prend tout son sens. Ce sont des théories, je ne dis pas que je cautionne ou pas, je dis simplement que ça existe, et que cela semble bien pratique pour relire ces mesures qui ne sont pas tonales mais qui ne sont pas dissonantes non plus, qui sont juste en apesanteur, sans être magnétiquement attirée par une tonalité, et ces moments d’apesanteur POURRAIENT être lus à travers le prisme des théories néo-riemanniennes. C'est récent : années 80, puis revisité en 2000, 2005. Je réclame du temps pour vraiment travailler dessus et avoir du recul. Je ne serais, en tout cas, pas étonné que ça soit une première à la radio, aujourd'hui ! Je vous laisse avec Chopin qui passe d’un accord à l’autre en transformant une ou deux notes à chaque fois. Nous ne savons plus en quelle tonalité nous sommes.

Chopin, 4e prélude op. 28
Chopin, 4e prélude op. 28

SOURCES 

  • Adorno’s “Schubert”: From the Critique of the Garden Gnome to the Defense of Atonalism, ESTEBAN BUCH (2005)
  • Two Neo-Riemannian Analyses, Michael Siciliano (2005)
  • Tonality in crisis? How harmony changed in the 20th century, Arnold Whittal
  • The Meaning(s) of “Without”: An Exploration of Liszt’s Bagatelle ohne Tonart, DAVID CARSON BERRY (2004)
  • Atonal aspects in the late piano works of Franz Liszt, Richard Fiester (thèse, 1974, California State University)
  • Film Music and Neo-Riemannian Theory, Frank Lehman (2014, Oxford) 

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