A Hambourg, un anniversaire contemporain pour l’Elbphilharmonie

- Publié le 14 janvier 2022 à 18:32
Compositeurs vivants uniquement pour le concert des cinq ans de la Philharmonie de Hambourg, l’une des salles les plus remarquables, et à la fois controversées, en Europe. A revoir sur Arte Concert.
A Hambourg, un anniversaire contemporain pour l’Elbphilharmonie

La Philharmonie de Hambourg, double inversé de celle de Paris ? L’extérieur du vaisseau de béton, de verre et d’acier culminant à cent-dix mètres sur les quais de l’Elbe, suscite, depuis les débuts du chantier, l’émerveillement de tous ceux qui l’approchent – quand les boyaux métalliques enroulés Porte de Pantin demeurent plutôt affaire d’habitude. Depuis son inauguration il y a cinq ans, après sept années de retard et un dépassement de budget plus important encore que par chez nous (241,3 millions budgétés au moment de l’appel d’offres pour 866 millions dépensés au final à Hambourg, contre 173,1 millions budgétés et 534,7 millions dépensés à Paris), les espaces de circulation imaginés pour l’Elbphilharmonie par Jacques Herzog et Pierre de Meuron séduisent par la générosité des volumes, l’audace des lignes, l’élégance des matériaux.

A Paris, on espère que l’accord finalement trouvé avec Jean Nouvel au dernier jour du mandat de Laurent Bayle balaiera bientôt la sinistrose des couloirs d’hôtel Ibis aménagés à la va-vite afin d’ouvrir au jour J, en 2015. Mais quand la réussite du grand auditorium parisien fait l’unanimité mondiale du point de vue esthétique et acoustique, celui de Hambourg n’a cessé de nourrir le débat, certains artistes comme Jonas Kaufmann refusant désormais de se produire dans cette salle. Sa configuration en vignoble, avec une scène très centrée (à Paris, la configuration dominante demeure semi-frontale, l’arrière n’accueillant qu’une minorité de sièges), mais un volume plus réduit qu’à la Philharmonie de Berlin, modèle du genre, n’est-elle pas responsable des saturations qui peuvent atteindre les limites du supportable à la galerie supérieure, pour peu que l’effectif orchestral et choral soit fourni, et que le chef lâche les chevaux ? On se souvient ainsi du même Requiem de Verdi par Chailly et la Scala en tournée, assourdissant à Hambourg, parfaitement équilibré à Paris.

Transparence rare

Recevant la presse à l’occasion de cette semaine anniversaire, Christoph Lieben-Seutter, intendant général de l’Elbphilharmonie, ne se réfugie pas dans la langue de bois. « Il ne s’agit pas, c’est vrai, d’une acoustique facile ou standard. Plutôt celle d’un instrument de musique, qui a son caractère et s’apprivoise. Nous n’avons procédé à aucune modification depuis l’ouverture, mais nombreux sont les artistes, comme Sir Simon Rattle, à la trouver différente. Peut-être du fait d’une évolution naturelle des matériaux, très certainement parce qu’eux-mêmes y trouvent leurs marques. C’est particulièrement frappant avec notre orchestre résidant, la Nord Deutsche Rundfunk Elphilharmonie, mais les Wiener Philharmoniker, qui sont nos hôtes réguliers, nous font les mêmes retours. En dosant soigneusement le son, celui-ci révèle une transparence rare pour une salle de plus de deux-mille places. Elle s’avère d’ailleurs idéale pour les effectifs chambristes. »

Si les orchestres sont priés de ne pas jouer trop fort, les ensembles sont merveilleusement servis à Hambourg, l’Elbphilharmonie abritant aussi une salle de récitals de 550 places, aux murs de bois irréguliers comme un tronc de vieux platane ou une carapace animale, dont l’acoustique est l’une des meilleures au monde pour le lied et le quatuor – un équipement qui manque, pour le coup, à la Philharmonie de Paris. Sans oublier la vénérable Laeiszhalle, qu’elle gère dans le quartier de Neustadt, l’un des meilleurs auditoriums d’Allemagne lors de son inauguration en 1908, toujours parfait pour le répertoire baroque, classique et celui du premier romantisme.

Courants transatlantiques

Pour célébrer les cinq ans de ses nouveaux murs, l’Orchestre de la NDR Elbphilharmonie a fait le choix louable de programmer trois compositeurs vivants dans des œuvres se prêtant à la spatialisation – tous anglo-saxons ou liés aux courants d’écritures transatlantiques plutôt que continentaux, ce qui reflète sans doute les goûts du directeur musical Alan Gilbert, qui a pris son poste en 2019. Le chef soigne à l’évidence les dynamiques et les équilibres, et l’acoustique du lieu, du premier balcon face, paraît beaucoup plus subtile qu’en de précédentes occasions depuis d’autres endroits.

Une saturation demeure, malgré tout, dans l’aigu des pupitres d’harmonie dès le forte. C’est, aussi, qu’ils ne sont pas ce que l’orchestre, loin d’être un des meilleurs d’Allemagne, offre de mieux, et l’on regrette, dans Tromba Lontana de John Adams, de ne pas entendre trompette mieux assurée à la galerie jardin, comme on imagine, dans Wing on Wing d’Esa-Pekka Salonen, ce que les meilleures formations françaises feraient de la section pour les vents seuls, ici bien pâteux. Ecrite en 2004 par le chef et compositeur finlandais pour la saison inaugurale d’un autre grand auditorium contemporain, le Walt Disney Hall, siège du Los Angeles Philharmonic dont il était alors directeur musical, la pièce fait référence par son titre, évoquant des voiles perpendiculaires, au bâtiment de l’architecte Frank Gehry, dont elle utilise la voix enregistrée, et s’avère, comme souvent la musique de Salonen, aussi excitante que directe d’accès. A une introduction très hollywoodienne, entre Hermann de Vertigo et Williams des Dents de la mer, succède une fantaisie en apesanteur qui évoque Debussy et Ravel, et explose en un vertigineux concours de vocalises entre les prodigieuses sopranos jumelles Anu et Piia Komsi – déjà présentes à la création, et au suraigu toujours glorieux !

Enthousiasme et interrogation

Ovationné aux saluts (il dirige l’orchestre la semaine prochaine), Salonen fait oublier l’accueil plus poli réservé à Thomas Adès (resté pour sa part à Londres), dont le Concerto pour piano (2018), interprété par son créateur Kirill Gerstein avec énergie et précision, mais une sonorité qui paraît plus métallique que lumineuse, séduit moins qu’à Paris ou au disque (DG). La faute à l’étrange stop and go pratiqué par Alan Gilbert, qui accentue la brisure des élans façon Gershwin sur l’ironie âpre d’un Martinu, alors que le chef-compositeur n’oublie pas le drive et la continuité quand il dirige sa partition ?

Soirée où enthousiasme et interrogation se mélangent, à l’image d’une salle qui continue à faire débat, mais dont le succès public est aujourd’hui indéniable : 3,3 millions de spectateurs pour les quelque 2500 concerts donnés depuis son inauguration (ce qui représente un triplement de l’auditoire hambourgeois par rapport à la période antérieure), et près de quinze millions de visiteurs pour la Plaza qui, du huitième étage du bâtiment, dispense sa vue prodigieuse sur la ville et le port.

Concert des cinq ans de l’Elbphilharmonie de Hambourg, le 11 janvier. A revoir sur Arte Concert.

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