Peintres et musiciens, musiciens et peintres

- Publié le 13 janvier 2022 à 11:38
Ingres, Schönberg, Mendelssohn, Klee… Ces artistes ont en commun d’avoir jeté une passerelle entre peinture et musique.
Jean Alaux : L’Atelier d’Ingres à Rome en 1818

Le violon d’Ingres n’est pas un mythe : le musée Ingres-Bourdelle à Montauban conserve un instrument ayant appartenu au peintre. C’est qu’avant de se vouer entièrement au pinceau, l’étudiant paya une partie de ses cours à l’École des Beaux-Arts de Toulouse en intégrant l’Orchestre du Capitole, au pupitre des seconds violons ! Si la peinture (et le dessin) l’emportent finalement, « Monsieur Ingres », note Gounod, « était fou de musique ; il aimait par-dessus tout Haydn, Mozart, Beethoven et peut être plus particulièrement Gluck… Nous restions souvent une partie de la nuit à nous entretenir des grands maîtres. »

De Mendelssohn à Pierre Boulez

À peu près à la même époque, Felix Mendelssohn, surdoué dans toutes les matières qu’il touchait (Liszt admirait sa capacité à jouer, en plus du piano, le violon, l’alto, et le violoncelle, et sa connaissance aboutie des langues vivantes et anciennes), s’adonne lui aussi à la peinture. Le jeune homme avait reçu de sa famille une éducation des plus abouties, laquelle comprenait naturellement le dessin. Lors de ses voyages, en particulier, il immortalise les paysages dans des aquarelles d’une perfection technique éblouissante. En 1838, pendant son séjour en Suisse, il écrit ainsi à son ami Karl Klingemann : « Je n’ai pas composé un seul morceau de musique, mais j’ai plutôt dessiné des jours entiers, jusqu’à ce que mes doigts et mes yeux me fassent mal. »

Dans un autre genre, Arnold Schönberg affirmera être « un amateur en peinture »… ce qui ne l’empêchera pas d’être exposé à Budapest et de continuer à peindre jusqu’à la fin de sa vie. Il s’attirera d’ailleurs les compliments de Kandinsky, « qui apparente les toiles de Schönberg à celles, expressionnistes, d’un Oskar Kokoschka ou d’un Edvard Munch » (Gilles Macassar). Un autre compositeur peindra un portrait du père du dodécaphonisme sériel : George Gershwin, dont un article du New York World du 4 mai 1930 dira qu’« il fait de chaque visiteuse séduisante un modèle. » De fait, l’appartement du compositeur ressemblait, aux dires de certains témoins, davantage à un atelier de peintre où trônait généralement un chevalet avec un portrait en cours de réalisation.

Paul Klee hésitera longtemps entre les deux arts. Comme Ingres, il apprend le violon, mais aussi, à la différence de son aîné, le piano. Il tient quelque temps le poste de premier violon de l’orchestre municipal de Berne, épouse en 1960 une pianiste, fréquente assidûment l’Opéra… Et de 1921 à 1931, pendant la période d’enseignement du Bauhaus, il joue dans un quatuor. Ses compositeurs préférés ? Bach et Mozart. Il salue aussi en Pelléas et Mélisande de Debussy le « plus bel opéra depuis la mort de Wagner ». Si la peinture l’emporte finalement, c’est avec la maxime formulée dès 1905 dans son journal : « De plus en plus s’imposent à moi des parallèles entre la musique et les arts plastiques. » Il parlera d’ailleurs de ses œuvres des années 1930 comme de « polyphonies ». Klee et Schönberg auront un admirateur commun : Pierre Boulez. Le chef dirigea souvent, on le sait, les œuvres du second. On sait moins qu’il écrivit aussi un livre sur le premier, Le Pays fertile : Paul Klee (Gallimard, 1989), qu’il était ami avec Nicolas de Staël (lui-même mélomane « passionné », selon le chef et compositeur), fut inspiré par des dessins de Vieira da Silva…

Et il n’y a pas que les compositeurs : les interprètes aussi ! Les mélomanes les plus attentifs se rappellent peut-être que certaines pochettes des disques de Dietrich Fischer-Dieskau chez Deutsche Grammophon (La Belle Meunière avec Moore, une anthologie Wolf avec Barenboim) étaient illustrées d’aquarelles du baryton, qui réalisa aussi des portraits, à commencer par celui de son épouse Julia Varady. Et pour prendre un autre exemple chez les barytons, citons Gérard Souzay dont les travaux ont fait l’objet d’expositions et de diverses éditions… Et aujourd’hui ? Le pianiste Stephen Hough peint – ses toiles ont été exposées, entre autres, à Londres en 2012 ; et le dessin a la cote chez de nombreux musiciens, comme le ténor Rolando Villazón ou le théorbiste Vincent Flückiger qui croque avec humour certaines scènes de la vie des artistes.

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