Borodine, nouvel Indispensable de Diapason !

- Publié le 28 janvier 2022 à 09:00
Fresques colorées et épure lyrique dessinent le portrait d’un géant russe.
Borodine, nouvel Indispensable de Diapason !

La popularité des Danses polovtsiennes aurait-elle éclipsé le reste du Prince Igor, cette vaste fresque historique à laquelle Alexandre Borodine, absorbé par ses travaux de chimiste, travailla dès 1869 ? « On commence cent choses différentes. Parviendra-t-on à en finir quelques-unes ? […] Je nourris l’espoir de conduire mon opéra jusqu’à sa dernière mesure, mais […] j’avance lentement et à de grands intervalles. » C’est Nikolaï Rimski-Korsakov qui exaucera ce souhait, après la mort brutale de son camarade du groupe des Cinq en 1887. Pour mettre en ordre et compléter la partition, il fut aidé par son disciple Alexandre Glazounov. Ainsi le grand œuvre post­hume pourra-t-il être créé en 1890 à Saint-Pétersbourg.

Splendeur sauvage

La Marche polovtsienne ouvre l’acte III (vous l’entendrez ciselée par Fritz Reiner en 1957 dans une somptueuse stéréophonie) tandis que le tableau des Danses polov­tsiennes, achevé par Borodine dès 1879 (et brossé, en « Living Presence », dans toute sa splendeur sauvage par Antal Dorati en 1956) se situe à cheval sur les actes I et II et fait intervenir le chœur. Le thème entêtant de la Danse des jeunes filles, cité dès l’introduction, va connaître une glorieuse postérité à travers la comédie musicale Kismet (1953) et son tube, « Strangers in Paradise ».

Puisant dans les esquisses accumulées pour son opéra, le compositeur développa en 1880 un poème symphonique intitulé Dans les steppes de l’Asie centrale, et dédié à Franz Liszt, rencontré en marge d’un voyage scientifique. Le geste pictural d’Igor Mar­kevitch, en 1959, fignole les nuances du crescendo-decrescendo imaginé par Borodine : « Dans la steppe monotone et sablonneuse […] retentit d’abord une paisible chanson russe. On entend le piétinement des chevaux et des chameaux qui s’approchent, on entend les accents mélancoliques d’une mélodie orientale. Une caravane, escortée par des soldats russes, traverse l’immensité du désert »… avant de disparaître au lointain, tandis que résonne, à la flûte, un ultime écho de la chanson russe.

Entamée en 1886, une troisième symphonie devait marquer pour le compositeur son « triomphe sur l’adversité ». Il exposa un soir, au piano, les quatre mouvements projetés devant Glazounov. Ce dernier publia à titre posthume le Moderato assai initial, à partir des esquisses et de ses souvenirs, et le scherzo, recyclant celui d’un quatuor à cordes. L’orchestration virtuose brodée par Glazounov attire, en 1954, un autre grand serviteur de la musique russe, Ernest Ansermet.

De la production chambriste de Borodine, détachons enfin le Quatuor à cordes n° 2 (1882), célébrant son épouse et leur vingtième anniversaire de mariage. En 1961, le bien nommé Quatuor Borodine met une fièvre inimitable au Notturno. Et quel sens du drame dans le finale, où des apparitions spectrales tenteront, d’entrée et chaque fois en vain, de rogner les ailes de cet amour irréfragable !

BORODINE : Marche (a) et Danses polovtsiennes du Prince Igor (b). Dans les steppes de l’Asie centrale (c). Quatuor à cordes n° 2 (d). Symphonie n° 3 (e). Chicago Symphony Orchestra, Fritz Reiner (a). London Symphony Orchestra & Chorus, Antal Dorati (b). Orchestre Lamoureux, Igor Markevitch (c). Quatuor Borodine (d). Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet. (e) « Les Indispensables de Diapason » no 143. Ø 1954-1961. TT : 1 h 08’.

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