Concours Reine Elisabeth

Concours Reine Elisabeth – Le violoncelle, ses cousins et cousines : une histoire de famille

© DNY59 / Getty Images

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Par Anne Hermant

Durant tout le mois de mai, et jusqu’au 4 juin, Flagey et Bozar sont placés sous le signe du violoncelle : pour la deuxième fois, il est la star du Concours Reine Elisabeth. Une belle occasion de nous plonger dans les " histoires de familles " de cet instrument attachant, et de faire connaissance avec ses nombreux cousins et cousines.

Le violoncelle appartient à la famille du violon. Les quatre membres de cette famille, violon, alto, violoncelle, et contrebasse, sont en quelque sorte frères et sœurs.

Mais il existe d’autres instruments à cordes frottées, qui ne font pas partie de ce premier cercle, et qui ont pourtant des airs de famille avec le violoncelle : même taille, même tessiture, même allure générale.

Il faut toutefois garder à l’esprit qu’ils ne sont pas les ancêtres du violoncelle, mais plutôt des parents éloignés : ils sont apparus alors que le violoncelle existait déjà, ou, dans le cas de la viole de gambe, à peu près à la même époque. Ces cousins et cousines, qui ont chacun leur personnalité, ont connu des durées de vie variables : plus de 200 ans pour la viole de gambe, une apparition éclair pour la viole d’Orphée ou quelques décennies pour d’autres membres de cette grande famille. Ils partagent pourtant une même destinée : ils finiront tous par disparaître au profit de leur illustre parent, le violoncelle.

Pour faire revivre cette belle famille, nous vous proposons ici un voyage à travers toute l’Europe, depuis la Renaissance jusqu’au début du XIXe siècle.

Une cousine espagnole célèbre : la viole de gambe

Nous voici au milieu du XVIe siècle, en Espagne. C’est là que serait née la cousine la plus célèbre du violoncelle : la viole de gambe. De sonorité douce, elle est dotée de 6 cordes et de frettes – ligatures en boyau nouées autour du manche, qui indiquent la place des notes et délimitent la longueur vibrante de la corde. Comme le violoncelle, on la tient entre ses genoux, d’où son nom : gamba signifie jambe en italien.

Les Ricercare de Diego Ortiz représentent l’un des plus beaux exemples du répertoire connu pour viole de gambe et clavecin de la Renaissance.

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A la cour d’Angleterre : le consort de violes

A l’époque où Diego Ortiz compose ses Ricercare, une nouvelle famille d’instruments apparaît en Italie, la famille des violons. Ils prendront leur forme définitive au cours du XVIIe siècle. Le violoncelle est le cousin, mais aussi le concurrent, de la viole de gambe. Tandis qu’il s’impose en Italie et gagne du terrain en France, les Anglais restent fidèles à la famille des violes et à leurs sonorités très douces : les consorts de violes de la période élisabéthaine resteront en vogue jusqu’au début du XVIIIe siècle.

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L’Italie ou le triomphe du violoncelle

En Italie, en cette fin de XVIIe siècle, le violoncelle a définitivement gagné la partie.

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Au début du XVIIIe siècle, Stradivarius, le célèbre luthier, construit ses plus beaux violoncelles. Notre instrument gagne en puissance sonore et en virtuosité. Il peut désormais tenir tête à l’orchestre et devient un instrument soliste à part entière, comme en témoignent les flamboyants concertos de Vivaldi.

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En France, c’est la guerre !

En Angleterre, on reste fidèle à la viole de gambe. En Italie, le violoncelle occupe tout le terrain.

Mais en France, la viole de gambe et son cousin le violoncelle se livrent une guerre sans merci. On associe souvent ce conflit à la lutte des classes : au XVIIIe siècle, la viole de gambe est considérée comme un instrument noble et raffiné alors que les violons et leur famille sont vus comme des instruments populaires, voire vulgaires, réservés à l’accompagnement des danses et aux musiciens de rue. Pendant la Révolution française et les années qui suivirent, les violes de gambe, symboles des divertissements aristocratiques, furent transformées en violoncelle ou même détruites par les révolutionnaires !

Quelques décennies auparavant, la disparition des grands gambistes comme Monsieur de Sainte Colombe, Marin Marais ou Antoine Forqueray, marque le déclin inexorable de la viole de gambe. Pourtant, certains refusent de faire le deuil de leur instrument favori. Un certain Hubert Le Blanc, violiste, juriste et abbé, écrit même un véritable livre de combat intitulé Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle (tout un programme !) qui sera édité en 1740 à Amsterdam.

De son côté, le compositeur et pédagogue Michel Corrette, espérant peut-être mettre tout le monde d’accord, fait une ultime tentative : il imagine en 1780 un instrument hybride, la viole d’Orphée, qu’il définit comme un “nouvel instrument ajusté sur l’ancienne viole, utile en concert pour accompagner la voix et pour jouer des sonates”. La viole d’Orphée ne possède pas de frettes et est dotée de 5 cordes accordées en quintes, ce qui la rapproche du violoncelle. Mais avec ses cordes en métal, elle produit une sonorité plutôt étrange, chargée d’harmoniques, très timbrée, et surtout très métallique, très éloignée de celle d’une viole de gambe ou d’un violoncelle. Corette ne transforma pas son essai : l’infortunée viole d’Orphée ne laissera aucune trace dans l’histoire de la musique, à l’exception d’une courte description et de deux sonates, composées par son inventeur, En 2001, le violiste et violoncelliste Philippe Foulon, avec l’aide d’un luthier et d’un musicologue, entreprend pourtant de redonner vie à cet instrument oublié. Il nous en laisse un témoignage rare au disque.

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Jean-Sébastien Bach : vive la diversité !

Concert au temps de Johann Sebastian Bach (1685-1750), Musik-Lexikon publishing, illustration

Alors qu’en France, on choisit son camp, en Allemagne, loin du sectarisme, Jean-Sébastien Bach compose pour les "cousins ennemis" : pour la viole de gambe, trois sonates avec clavecin ; pour le violoncelle, Six Suites, dont la dernière écrite pour un violoncelle à 5 cordes, le violoncelle piccolo.

On sait aujourd’hui que les choses n’étaient pas aussi figées à l’époque. Les sonates pour gambe sont peut-être des transcriptions d’œuvres écrites pour d’autres instruments. Pour ce qui concerne la sixième suite pour violoncelle, on pense qu’elle a été conçue pour la viola pomposa. Cet instrument hybride, aussi appelé viola da spalla, ou violoncelle da spalla, est un petit violoncelle qui se joue comme un alto, bien qu’il soit beaucoup plus imposant. L’instrument est posé sur l’épaule droite (spalla signifie épaule en italien) et maintenu à l’aide une courroie.

Voici un extrait de la Sixième Suite de Bach, par Sergey Malov, ancien candidat du Concours Reine Elisabeth, dans la catégorie… violon !

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Avec tous ces cousins et cousines, on s’y perd un peu ! Il est toutefois probable que la nature exacte des instruments, dont il utilise avec bonheur les possibilités expressives, n’ait pas été pas d’une grande importance pour Bach. Les plus beaux exemples se trouvent certainement dans ses arias avec instrument solo : Aria avec viole de gambe dans la Passion selon Saint Jean, ou encore Aria avec violoncelle piccolo (ou violoncelle da spalla ?) dans plusieurs cantates.

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Bach n’hésite pas non plus à faire jouer ensemble cousins et cousines, réconciliés, comme dans le sixième Concerto brandebourgeois, composé pour deux violes "da braccio" (ou deux altos), deux violes de gambes, violoncelle et basse continue.

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Dernières tentatives

Austria, Vienna, Franz Joseph Haydn conducting a string quartet

Restons en terre germanique, une cinquantaine d’années plus tard, avec Joseph Haydn. Né trois ans avant Jean-Chrétien Bach, dernier fils de Jean-Sébastien, Haydn aura une très longue carrière qui couvre toute la période allant de la fin de la musique baroque jusqu’aux débuts du romantisme. Haydn passa une grande partie de sa vie au service du prince Nicolas Esterhazy, qui s’était passionné pour une sorte de viole de gambe en voie de disparition : le baryton.

En plus des six cordes de jeu, sept à neuf cordes se trouvent à l’arrière du manche creux. Elles jouent le rôle de cordes sympathiques, entrant en vibration par simple résonance, "par sympathie". Mais ces cordes peuvent aussi être pincées avec le pouce de la main gauche. La douceur du son du baryton était très appréciée pendant la période pré-classique. Haydn composa pour son maître plus de 170 œuvres pour cet instrument : solos, divertissements et surtout… 126 trios ! A l’époque, on appelait le baryton "le roi des instruments et l’instrument des rois". Mais après 1800, il est tombé dans l’oubli.

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En ce début du XIXe siècle, le violoncelle a définitivement gagné la partie. Viole de gambe, viole d’Orphée, viola da spalla, violoncelle piccolo ou autre baryton, ainsi que le répertoire qui leur est associé, font partie du passé.

Pourtant, à Vienne, un luthier du nom de Johann Georg Stauffer, spécialisé dans la construction de guitares, invente un nouvel instrument : l’arpeggione. Il s’agit d’une sorte de guitare munie d’un chevalet, tenue entre les genoux comme un violoncelle, et jouée avec un archet : c’est pourquoi on l’appelle aussi “guitare-violoncelle”. On l’appelle encore “guitare d’amour” en raison de sa sonorité douce et délicate. L’instrument connaît un certain succès durant une dizaine d’années, mais, curieusement, pratiquement rien n’est conservé de son répertoire spécifique, sauf la fameuse Sonate Arpeggione de Schubert, qui fait aujourd’hui partie intégrante du répertoire des violoncellistes.

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Pour la demi-finale du Concours Reine Elisabeth, deux candidats ont d’ailleurs intégré la Sonate Arpeggione à l’un des programmes de leur récital, et nous pourrons aussi entendre cette semaine les deux concertos pour violoncelle de Haydn.

Les grands compositeurs des périodes classiques, romantiques et du début du XXe siècle ont considérablement enrichi le répertoire du violoncelle. Plus récemment, dans les années 1970, les concertos de Dutilleux et Lutoslawski, ajoutent une contribution majeure à ce répertoire.

Le Concours Reine Elisabeth apporte aujourd’hui sa pierre à l’édifice, en commandant à deux compositeurs des pièces spécialement composées pour l’occasion. Nous pourrons ainsi découvrir, en demi-finale, une pièce inédite pour violoncelle et piano, Wie aus der Ferne, du jeune compositeur brugeois Daan Janssens, et, en finale, une œuvre pour violoncelle et orchestre du compositeur allemand Jörg Widmann, que les candidats découvriront une semaine seulement avant sa création.

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