Le Festspielhaus de Bayreuth, la Mecque de l’opéra wagnérien

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Le Festspielhaus de Bayreuth, la Mecque de l’opéra wagnérien

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Le Festspielhaus de Bayreuth, construit sur la colline surnommée la « colline sacrée » par les wagnérophiles français
Le Festspielhaus de Bayreuth, construit sur la colline surnommée la « colline sacrée » par les wagnérophiles français
© Getty - Gueholl

Lieu de pèlerinage pour les wagnériens du monde entier, le Festspielhaus de Bayreuth est une salle d'opéra unique en son genre, imaginée et construite par Richard Wagner au nom de l'art lyrique absolu.

A onze heures du matin le 22 mai 1872 à Bayreuth, au nord de la Bavière, Richard Wagner donne trois coups de marteau sur un bloc de granit. La première pierre de son nouveau théâtre lyrique est posée. La salle sera entièrement dévouée aux nécessités artistiques de l’art lyrique wagnérien, où le compositeur pourra porter à son apogée sa vision novatrice de l’opéra et de sa production.

Rares sont les compositeurs capables de faire construire leur propre théâtre lyrique. Mais rares aussi sont les compositeurs qui ont tant marqué l’histoire de l’opéra que Richard Wagner. Le Festspielhaus de Bayreuth, dont la conception et construction fut entièrement supervisée par le compositeur lui-même, est un théâtre unique aux nombreuses innovations symboliques et techniques, parfaitement adapté aux œuvres de Wagner et son idée d’un Gesamtkunstwerk (« art totale »).

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En effet, le compositeur est convaincu que ses opéras peu orthodoxes nécessitent un lieu de production tout aussi peu orthodoxe. Son œuvre ne peut que prendre son sens dans un lieu capable de l'accueillir dignement, car si l’œuvre musicale elle-même se doit d’être la plus parfaite possible, sa réussite sera toujours limitée par les conditions dans laquelle elle est créée. Ainsi, afin de révolutionner l’opéra, il doit révolutionner les moyens de production du genre.

La révolution est dans l’air

Richard Wagner est un révolutionnaire dans l’âme. En 1848, il signe le texte Projet d’organisation d’un théâtre national allemand pour le royaume de Saxe, dans lequel il énonce sa vision d’un art lyrique révolutionné. Il lamente notamment la fonction purement représentative du théâtre de cour et purement financière du théâtre privé.

Avant de s’attaquer au monde de la musique, Wagner s’attaque d’abord au monde politique qui l’entoure. En 1849, il participe au soulèvement de mai à Dresde, phase finale de la Révolution allemande de 1848-49. Le soulèvement est un échec, et Wagner se voit contraint de fuir et se réfugier à Zurich. Il tourne alors son attention révolutionnaire au monde du théâtre lyrique. Il décrit dans sa correspondance sa vision d’un nouvel art lyrique, aux antipodes de l’industrie du spectacle dont l’intérêt principal est de générer de l’argent et divertir un public ennuyé.

En effet, l'opéra au XIXe siècle est autant un événement de société qu'un événement strictement musical. Convaincu que les maisons d’opéra européennes et les théâtres traditionnels ne lui permettraient jamais de représenter ses œuvres dans des conditions satisfaisantes, Wagner décide de faire construire sa propre salle lyrique, dont la priorité sera la qualité des représentations et non la quantité. Une salle capable de jouir d’une indépendance financière et artistique, libre ainsi d’exister en dehors des influences sociétales.

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Bayreuth : cœur de l’opéra wagnérien, loin de tout

La ville de Bayreuth n'est pas le premier choix de Wagner. Lorsque le compositeur esquisse ses premières idées en 1850, il pense à Zurich ou Weimar, et même Munich, mais aucune de ces villes n’est prête à accueillir la révolution lyrique de Richard Wagner.

Préférant éviter toute interférence avec les grands théâtres institutionnels, Wagner souhaite fonder son théâtre dans une petite ville sans concurrence, sans attractions géographiques ou loisirs (comme les stations thermales). Le bâtiment est situé plus ou moins au centre de l'Allemagne mais toujours en Bavière, afin de rester sous la protection de son ami, le roi Louis II de Bavière.

En 1871, il visite pour la première fois la ville de Bayreuth, suivant la recommandation d'un ami, le chef d’orchestre Hans Richter. La ville correspond exactement à ses attentes. Wagner se voit même offrir par la ville un terrain dans la banlieue de St. Georgen afin de réaliser son projet.

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Quant au financement du projet, Wagner sera obligé d’organiser de nombreuses tournées usantes, et accepte de nouvelles commandes de compositions, dont une marche solennelle pour marquer le du centenaire de l’Indépendance des Etats-Unis, et une Marche de Fête pour l’ouverture de l’Exposition Universelle de Philadelphie de 1876.

Il recevra également un soutien financier de la part de nombreuses figures royales, dont le Sultan Abdülaziz de l'empire Ottoman. Mais ce sera le roi Louis II de Bavière, que Wagner rencontre en 1864, qui permettra à au compositeur de finaliser son immense projet. Profondément fasciné par les opéras de Richard Wagner qu’il découvre à l'âge de 15 ans, le monarque offrira 100,000 thalers pour assurer la réussite du projet, avec la condition que le prêt soit remboursé par Wagner et ses héritiers avec les recettes du Festspielhaus.

Une salle pas comme les autres

Wagner est un compositeur qui s’intéressait autant à la musique qu’aux conditions de travail des artistes, à la technique des représentations, à la conception des décors et à l’acoustique. Son auditorium doit être conçu afin de proposer les meilleurs effets acoustiques possibles, mais aussi les meilleures conditions optiques. Tout ce qui se présente à l'œil doit favoriser la compréhension absolue de l'œuvre sur scène, sans aucun élément perturbateur.

Pour cela, il est donc essentiel d’éteindre les lumières de l’auditorium pour que le public ne voie rien d’autre que la scène. Pas d’applaudissements de la part du public, pour ne pas briser l’illusion théâtrale. Le public est également placé en rangées tel que dans un amphithéâtre grec, duquel s’inspire profondément Wagner, afin de centraliser le regard. L’influence grecque se fait également ressentir sur scène, avec un double proscenium pour donner une illusion de profondeur et une vue dégagée de la scène. L'opéra de Wagner sera notamment le premier théâtre avec un proscenium depuis l’antiquité.

L'auditorium du Festspielhaus de Bayreuth, inspiré des amphithéâtres grecs antiques
L'auditorium du Festspielhaus de Bayreuth, inspiré des amphithéâtres grecs antiques
© Getty - DEA / BIBLIOTECA AMBROSIANA /

Entre le public et la scène se trouve habituellement l’orchestre. Mais la masse de musiciens risque de distraire le public. A Bayreuth, il est ainsi caché sous la scène, dans une fosse couverte avec une hotte à l'avant pour voiler les lumières de la fosse et un amortisseur de son en surplomb à l'arrière pour des raisons d’acoustiques. Cette redistribution du son crée un équilibre unique entre les chanteurs et l'orchestre, assurant que l'un ne domine jamais l'autre.

L’aspect acoustique de la salle conditionne également la composition des œuvres suivantes de Wagner. En effet, Bayreuth sera construit précisément pour accueillir le cycle de L’Anneau, mais l’opéra Parsifal, composé après la construction de l’opéra de Bayreuth, est composé précisément avec l’acoustique du Festspielhaus en tête. Jusqu'en 1903, l’interprétation de Parsifal sera interdite ailleurs qu’à Bayreuth, afin d’assurer une qualité de production telle que l’avait imaginée Wagner.

Le pouvoir symbolique de Bayreuth

L'atmosphère unique et l’immense prestige du Festspielhaus font du lieu un modèle pour les opéras du monde entier, un lieu de pèlerinage pour les mélomanes et une destination artistique de renom pour les chanteurs et les chefs d'orchestre. Tel est le prestige de jouer à Bayreuth que les premiers chanteurs et chefs refusent toute rémunération pour y jouer, dont Karl Muck et Arturo Toscanini. Le nom du chef d’orchestre n’est pas mentionné avant Toscanini en 1930.

Encore de nos jours, les artistes invités acceptent souvent des tarifs moins élevés. L’opéra de Bayreuth propose notamment des tarifs selon les rôles, et non les interprètes. Mais c’est avant tout le bâtiment en lui-même qui fascine et retient l’attention de chacun de ses visiteurs.

Finalement, le Festspielhaus de Wagner est le fruit improbable d’une détermination d’acier et d’un soutien fortuit permettant au compositeur de réaliser sa révolution lyrique. Son rêve de transformer le théâtre en une expérience ultime et totale a informé chaque détail de la salle, conçue dans le seul objectif de transformer l'illusion scénique en réalité dramatique afin de briser la séparation entre la scène et le public. Au sein du Festspielhaus de Bayreuth, Wagner casse non seulement le moule architectural de l'opéra traditionnel, mais il initie une transformation profonde et irréversible de la relation entre le spectateur et le spectacle.

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