Fortissimo !

- Publié le 4 août 2022 à 16:58
De Haydn à Corigliano, dix albums qui font du bruit !
« EARQUAKE »

En 1903, Claudine (alias Colette) assiste à un concert qui la révolte. « Nous écoutons, pour la dernière fois, le triste orchestre qui joue tout le temps fortissimo. » Triste réputation d’une nuance qui n’est pourtant pas que raffut, qui a ses lettres de noblesse, sa belle histoire liée à la taille des salles, à la facture des instruments, aux progrès de la rumeur industrielle, à l’image du monde, du cosmos, de Dieu quelquefois. 

La mention fortississimo (fff) accompagne l’expansion de l’orchestre. Un petit ouvrage anonyme publié à Londres vers 1710 observe : « Fortissimo – Very loud ». Lequel fortissimo (fff dans ce cas) ne doit pas être confondu avec « forte forte » (ff), ce que précise en 1724 Mr Pepusch, l’arrangeur du Beggar’s Opera : « Fortissimo, or fff, Extream Loud ». Mais ne cherchez pas. Avant le XIXe siècle vous trouvez très peu de fff. La plupart des musiciens, jusqu’à Beethoven et au-delà, s’arrêtent à ff qui veut dire pour eux : le plus fort possible. « Tutta forza », ajoute Verdi au ff de son Dies irae. C’est le geste qui compte. Beethoven recourt d’ailleurs au ff dans ses sonates et ses quatuors, un ff plus joué qu’entendu.

Inflation sonore

Puis l’orchestre s’étoffe, la perce des cuivres s’élargit, leur nombre s’accroît (huit dans Fidelio, vingt et un dans La ­Walkyrie), les salles enflent, les musiciens s’adaptent – sans se faire prier. Vite converti au fff, Tchaïkovski élève plusieurs fois son orchestre à ffff (notamment dans la Symphonie « Pathétique » qui, soyons juste, entraîne aussi le basson au pppppp). Tempêtes, requiem (44 cuivres et 16 timbales chez Berlioz), artillerie (Acanthe et Céphise de ­Rameau en 1751, Tristia de Berlioz en 1844, l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski en 1880), toujours plus.

Au XXsiècle, l’orchestre pléthorique de Mahler, Strauss, Ravel et Stravinsky libère un Holst (Mars), un ­Respighi (Les Pins de Rome), un Roussel (Symphonie no 3), un Brian (Symphonie « Gothique »), un Walton (Belshazzar’s Feast), un Orff (Carmina Burana), un Revueltas (La noche de los Mayas) – liste décuplée quand le haut-parleur et le cinéma prennent le pouvoir.

Parfois c’est un bouquet final (Boléro, Poème de l’extase, Amériques, Turangalîla, 5e de Chostakovitch), parfois un climax en plein cœur (Symphonie alpestre, L’Apprenti ­sorcier, 4e de Mahler), parfois une langue en soi. Après la Symphonie no 2 de Prokofiev (1924), la muse soviétique ne parle plus que cette langue : Les Aviateurs de Miaskovski, La Guerre de Knipper, les Héroïques de Pachtchenko, Gayaneh de Khatchaturian, qui criera plus fort ?

Les Américains peut-être. Au réalisme socialiste répond l’irréalisme conquérant des Ruggles, Grofé, Hanson, ­Barber, Rouse, ou aujourd’hui John Adams. Mais attention ! Le texte n’est que le texte. C’est aux interprètes qu’il appartiendra de changer un fff, voire un simple f, en cataclysme. Et à l’ingénieur du son de faire entrer ce coup dans ­l’­Histoire. Une histoire sans borne comme vous les aimez.

.

Diapason