Karel Ancerl, le survivant

- Publié le 8 août 2022 à 15:22
Un coffret de 15 CD révèle des documents majoritairement inédits qui viennent enrichir notre connaissance de l'art de Karel Ancerl, mais aussi de son immense répertoire.
Karel Ancerl

Mort à Toronto le 3 juillet 1973, Karel Ancerl était né en 1908 dans un village du sud de la Bohème. Alors qu’il est encore étudiant au Conservatoire de Prague (Alois Haba lui enseigne la composition), il se voit confier par Bruno Walter le soin de mener le petit ensemble placé en coulisse pour une exécution de la Symphonie n° 2 de Mahler – « vous devriez diriger », lui dit le chef en le congratulant. Le jeune homme suivra ce conseil, mettant son expérience de compositeur au service de la musique de son temps.

Jaroslav Jezek, lui aussi élève d’Alois Haba, lui donnera sa chance en 1931, l’engageant au Théâtre libéré de Prague. Ancerl, en retour, défendra la mémoire de son ami (mort en 1942), comme en témoigne cette Fantaisie pour piano et orchestre captée en mars 1949 à la Radio tchèque.

Ardeur du geste

Interné par les nazis à Theresienstadt, il est envoyé à Auschwitz dont il réchappe de justesse, avec une santé fragile. Rien de cette fragilité, pourtant, n’est audible dans les archives réunies par Supraphon, où l’on est saisi, au contraire, par l’ardeur du geste – cette Introduction et Allegro d’Elgar, ces Fêtes de Debussy, captées en 1956-1957, ne sont pas sans évoquer celles de Charles Munch.

Ces concerts avec le Philharmonique tchèque attestent aussi la volonté sans faille de ce très grand musicien qui finit par triompher de l’hostilité manifestée par les instrumentistes à son encontre : Ancerl leur avait été imposé en 1950 par le pouvoir communiste, alors qu’ils avaient élu Karel Sejna. La répression du Printemps de Prague mettra un terme à dix-huit ans d’aventure commune. Captée le 12 mai 1968, Ma patrie est l’ultime trace de la complicité qui avait fini par les unir. On y entend un orchestre exalté, fameux pour la singularité de ses couleurs.

Priorités et curiosités

Trois trésors rendent ce coffret indispensable : une Symphonie n° 7 de Dvorak d’une décapante ardeur en 1962 ; un Don Juan de Strauss en 1965, alors que nous ne connaissions sous sa baguette que Till ; et un extraordinaire Asraël de Suk en 1967, précédant de six semaines le concert de Baden-Baden publié par la SWR (Diapason d’or, cf. no 667).

Les amateurs de musique tchèque se réjouiront d’enrichissements majeurs de la discographie : Pan, la Symphonie d’automne et le Concerto pour deux pianos de Vitezslav Novak (avec le compositeur et son épouse comme solistes), la 4e de Josef Bohuslav Foerster, mais aussi les Symphonies nos 1 et 3 d’Isa Krejci, un autre camarade de ses années de Conservatoire dont Ancerl avait officiellement gravé la 2e . Une curiosité : le Manifeste du parti communiste transformé en 1932 en « oratorio de plein air » par Schulhoff (mort dans un camp nazi en 1942), ici dans une captation de 1962.

On retrouve aussi quelques documents déjà connus : Maturation de Josef Suk (1968) et la création de la Symphonie no 5 de Miloslav Kabelac (1961) avaient ainsi été publiées par Panton, la Schéhérazade de Ravel avec Danco, la Suite scythe de Prokofiev et la 8e de Dvorak par Praga. Et Multisonic avait dévoilé la Symphonie no 1 et le Concerto grosso de Martinu.

Mozart (Adagio KV 261 avec Josef Suk, Concerto pour violon no 5 avec Alexandr Plocek, Concerto pour flûte et harpe) et Beethoven (Coriolan, 2e, Triple Concerto avec un impeccable Josef Suk, Jan Panenka en état de grâce et Josef Chuchro en deçà) ont droit chacun à une galette entière. Une « Italienne » de Mendelssohn ciselée laisse percevoir quelques faiblesses dans l’intonation (trio du Scherzo) qui grèvent aussi les deux premiers volets de La Mer de Debussy. Réserves minimes, balayées par une somme de documents majeurs et nombre d’inédits pertinents et inattendus (Toccata de Piston, Musique funèbre de Lutoslawski), élargissant le répertoire enregistré connu du chef.

« Karel Ancerl, Live recordings ». Orchestre philharmonique tchèque. Supraphon, 15 CD. Diapason d’or.

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Diapason