Règlementation du bois de pernambouc : « Tous les archets sont menacés »

- Publié le 23 septembre 2022 à 14:35
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Un projet de résolution avancé pour la prochaine Cop19 vise à interdire purement simplement l’exportation et le transport du bois qui sert à fabriquer quasiment tous les archets depuis deux siècles.

On se rappelle que les règlementations sur l’ivoire peuvent poser problème aux musiciens. Aujourd’hui, c’est celles concernant un bois, le pernambouc, qui inquiètent en particulier les archetiers. En effet, ce bois originaire du Brésil s’est imposé à la fin du XVIIIe siècle dans la fabrication des archets, en particulier sous l’impulsion des frères Tourte. Sa dureté, sa densité élevée l’ont rendu indispensable et quasiment tous les archets depuis 1800 recourent au pernambouc. Aujourd’hui inscrit à l’annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), le pernambouc est sévèrement réglementé. Mais le Brésil souhaite que la prochaine Cop19, qui doit avoir lieu en novembre prochain à Panama, reclasse ce bois et l’inscrive à l’annexe I de la CITES. Ce qui rendrait le commerce, mais aussi le transport, l’entretien ou la réparation et de facto l’utilisation de tous les archets en permambouc à peu près impossible. « Si cette annexe passait », nous précise ainsi Jean-Yves Tanguy, archetier, « tous les archets du monde devraient, pour voyager, obtenir un certificat. Ce qui est impossible : cela représenterait un embouteillage administratif monstrueux. »

D’où une immense inquiétude chez les artisans qui souhaitent alerter les autorités décisionnaires… et les musiciens ! « Il faut que le ministère de la Culture se prononce », affirme Jean-Yves Tanguy, « même si c’est le ministère des Affaires étrangères qui mènera les négociations. » Car ces négociations concernent tous les domaines… tant et si bien que le monde des instruments à archet est « si petit », s’inquiètent les professionnels, que le reclassement « peut passer inaperçu ». « Il faut que les musiciens se mobilisent », assure Jean-Yves Tanguy.

Un bois unique

D’autant que les archetiers, conscients des enjeux écologiques, se sont également investis pour le sauvetage du pernambouc, gravement menacé par la déforestation. En relation avec des scientifiques, les artisans ont engagé et financés des recherches pour la protection de l’espèce végétale, son replantage. Quant à utiliser d’autres bois, bien sûr, des expériences ont été menées « Il n’y a pas de bois qui permette d’obtenir les mêmes qualités sonores et musicales », nous précise Jean-Yves Tanguy. « Le jeu développé depuis la fin du XVIIIe siècle, en matière de timbre, d’élasticité, de souplesse, d’articulation, correspond aux qualités du pernambouc. » Arthur Dubroca, lui aussi archetier, abondait auprès de France Musique : « la richesse du pernambouc au niveau de la production du son est irremplaçable. Un archet fabriqué dans un autre matériau n’a pas les mêmes qualités acoustiques. »

Par ailleurs, l’utilisation en archèterie représente donc une vraie « opportunité de préservation » de l’espèce, affirme la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) dans un communiqué. « En effet, la consommation connue et régulière et à forte valeur ajoutée permettant une valorisation de la ressource est une incitation à temporiser la tendance à couper des forêts pour y faire, par exemple, de l’agriculture intensive à la place. […] Nous sommes convaincus qu’un contrôle des exportations plus sévère et plus efficace – que nous sommes prêts à soutenir sans équivoque – serait une réponse au commerce illégal du pernambouc. » Un communiqué commun de sept organisations musicale rappelle aussi que « depuis 2000, les professionnels du monde entier, rassemblés au sein de l’IPCI, ont initié au Brésil des actions en faveur de la conservation du pernambouc, en lien avec les autorités et des ONG brésiliennes. 340.000 pernambouc ont déjà été plantés dont une part importante ne sera jamais exploitée pour assurer la conservation de l’espèce. Le Brésil, dans sa proposition, omet de prendre en compte cette donnée fondamentale dans le processus de réflexion des Parties. » Ces 340.000 arbres plantés sont à mettre en rapport avec un autre chiffre : « La consommation en France est estimée à 1 arbre par an pour l’ensemble des artisans. Ce n’est donc pas cette activité qui menace le pernambouc mais, par exemple, le remplacement de la forêt par des plantations de pins et de l’eucalyptus et l’urbanisation de la région où pousse cette espèce. »

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