À Ambronay, la musique se « monumentalise » en écho aux journées du patrimoine

- Publié le 20 septembre 2022 à 10:57
René Jacobs dans Handel, Paul Agnew dans Schütz et Bach se posaient en vivants monuments de la musique baroque lors d’un premier week-end qui, signature du festival, ouvrait quelques autres portes vers divers « ailleurs ».
Cantoría

C’est un jeune Handel qui ouvrait la voie, souverainement mené par René Jacobs et le Freiburger Barockorchester, en deux cantates profanes composées en Italie, berceau du genre. Une parfaite maîtrise de la messa di voce excuse volontiers quelque systématisation de portamentos chez Kateryna Kasper, qui passe aisément de la vocalité superlative de la délirante Chloris (Il Delirio amoroso) à la retenue de Daphné (Apollo e Dafne). La première est rendue folle par la perte de son amant qu’elle s’imagine. La seconde est transformée en laurier par son père, manière un peu brutale de la soustraire aux avances de l’Apollon de Yannick Debus, qui passe aisément de la fanfaronnade à la désolation absolue. Un concerto pour orgue, remarquablement interprété par Sebastian Wienand, jouait, comme dans les oratorios handéliens, les interludes.

« Douceurs très amères »

Paul Agnew et Les Arts florissants proposaient, le lendemain, deux programmes différents. Le premier s’articulait autour du Premier Livre de madrigaux de Schütz. À seulement vingt-six ans, le compositeur se révèle déjà un maître du genre : les durezze soulignent les intentions poétiques (Dolcezze amarissime, Io moro, Cosi morir debb’io) ; les lignes mélodiques s’opposent : l’amant et son inexorable dame (D’orrida selce alpina), la guerre et la vie (Feritevi, ferrite), les bienheureux et la désespérance (Dunque addio). Et il y a le reste… Les musiciens qui « se chantent » comme on se parle (Sospir che del bel petto), formidables de connivence dans une musique qui leur est naturelle, mettant simplement en valeur le mot juste, l’articulation fine.

Le « Bach de Weimar » du second concert est jeune aussi, qui compose en 1714, entre autres cantates, quatre œuvres aussi diverses que les fêtes qu’elles illustrent. Himmelskönig, sei wilkommen encadre de chœurs très vifs trois airs à instruments obligés. L’ouverture à la française et l’arioso « Siehe, ich stehe vor der Tür », accompagné de pizzicatos, tirent la cantate Nun komm der Heiden Heiland vers l’opéra… qu’elle se refuse pourtant à être. Weinen, klagen, après un premier chœur bouleversant, offre un contraste particulièrement réussi entre le poignant « Kreuz und Krone » (Maarten Engeltjes y subjugue par son intensité, qu’il reconduira dans Widerstehe doch der Sünde pour alto solo), avec hautbois obligé, et « Ich folge Christo nach », joyeusement vif, témoin – encore – d’une parfaite compréhension du texte.

Jeunes programmes, jeunes ensembles

En marge de ce tiercé gagnant, le jeune ensemble Cantoría s’éloigne un temps des ensaladas dans lesquelles il excelle pour opérer une incursion vers Monteverdi. Le projet à long terme demande à être mûri – la langue est encore imparfaitement maîtrisée, la projection parfois un peu brusque – mais semble prometteur, une fois canalisées des intentions un rien foisonnantes. On jettera une oreille plus rapide à l’histoire du oud selon Canticum Novum : l’orientalisation des musiques médiévales occidentales, datée, peut avoir ses adeptes même si elle finit par niveler – à tort – « populaire » proche-oriental et « savant » occidental. Surtout, la polychromie systématique de ses choix instrumentaux n’engendre finalement guère mieux qu’une assez lassante uniformité.

Public comblé

Le mot de la fin – quel mot ! – de ce premier week-end revenait à l’ensemble Sollazzo. Neuf chanteurs et dix musiciens conviaient, « Sous un même ciel », l’Ars nova italienne, la lyrique des troubadours et le médiévalisme postmoderne d’Arvo Pärt. Le résultat comble à la fois le public néophyte, conquis par l’enthousiasme des artistes, leur engagement et leur absolue justesse de pensée, et les connaisseurs de ces musiques rares qui trouvent ici des interprètes exceptionnels. La richesse de la palette des timbres échappe à l’agglomération, l’étendue des nuances et la diversité, extrêmes, ne sont jamais catalogue. Les accompagnements du chant varient, de l’organetto au chant à bouche fermée en passant par la combinaison – osée mais convaincante – d’instruments bas (luth, vièle, psaltérion) et hauts (chalemie, dulciane, sacqueboute). O fanciulla giulía de Landini, burlesque mise en scène de séduction désespérée, préfigure la comédie madrigalesque.

La Magdalena dialoguée et mise en espace suggère l’oratorio à venir. La pyrotechnie vocale de Paolo da Firenze (Perche vendetta) annonce le madrigal du premier baroque… Mais les cadences sans tierce, la modalité, les contours mélodiques abrupts sont encore bien pré-renaissants. Quant à la spatialisation, incluant les spectateurs des côtés et de l’arrière de la scène, elle est à la mesure de l’ensemble : virtuose, subtile et généreuse.

Festival d’Ambronay, les 16, 17 et 18 septembre.

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