À Toulon, un festival pour (re)découvrir les compositrices d’hier et d’aujourd’hui

- Publié le 25 novembre 2022 à 09:36
Trente-six musiciennes, dont douze contemporaines, étaient à l’honneur du festival Présence Compositrices, créé en 2011 par Claire Bodin : occasion idéale pour exhumer des univers méconnus
Duo Rosenbaum

Au programme, riche, de ces quelques jours dédiés à la découverte des compositrices : concerts – invitant, en « lever de rideau », de jeunes musiciens pré-professionnels –, conférence, représentations destinées aux scolaires, journée « Compositrices au long cours » alternant, au Musée de la Marine, courtes visites guidées et moments musicaux proposés par de jeunes artistes et, bien sûr, présentation de « Demandez à Clara », considérable base de données de compositrices, inestimable outil de travail pour musiciens et chercheurs, en ligne depuis 2020 et régulièrement mis à jour.

Création et découvertes

Le festival marque aussi la sortie de résidence d’une compositrice et la création de l’œuvre qui lui a été commandée. La première, en 2017, était Camille Pépin. Cette année étaient créés Trois poèmes d’après César Vallejo d’Édith Lejet (née en 1941) par la mezzo-soprano Julie Nemer et la pianiste Marie-France Giret (Duo Rosenbaum), au cœur d’un programme exigeant articulé autour de la nature. Exaltant somptueusement le modernisme du poète péruvien, Lejet lui emprunte, comme en miroir, le goût de la « manipulation » d’un vocabulaire usuel, bousculant registres et motifs au sein d’une architecture complexe mais sensible : grave, médium, aigu en mouvement tournant figurant « la sphère terrestre de l’amour » (II), staccato violent à la pulsation rendue imperceptible, continuum haché matérialisant la grêle (III).

Au rang des belles découvertes, les mélodies inventives d’Armande de Polignac (harmonies inattendues dans La Flûte de Jade, recueil qui inspirera Marguerite Canal, pensée plus « traditionnellement » modale) ; l’émotion poignante émanant du chant à découvert d’« Ai-je pu t’appeler de l’ombre » de Claire Delbos, que suit une conclusion pianistique sur un motif de trois notes augmenté peu à peu ; le langage contrapuntique à la texture fine des Quatre lieder op. 4 de Johanna Müller-Hermann ; « Une famille d’arbres », magnifique pièce de Caroline Chauveau (née en 1957) à l’écriture d’une grande liberté stylistique, texte volontiers déconstruit, parfois parlé sur une écriture pianistique qui le rehausse subtilement.

Pour servir cette grande diversité d’esthétiques, un duo joliment complice : côté voix, une expressivité juste qui n’ajoute rien de superflu à la musique, un timbre délicat, une diction exceptionnelle ; côté piano, une complémentarité absolue avec le chant, un jeu d’une rare variété ; côté duo, le plus important : une compréhension aiguë de ces œuvres-mondes.

Rigueur, transparence et souplesse

Autres exigences, autres découvertes dans le programme du Trio Sōra le lendemain. En ouverture, le Trio op. 11 de Fanny Mendelssohn donne le ton : rigueur, transparence et souplesse. Rigueur dans les tempos et les intentions, toujours d’une heureuse sobriété, à l’image de la pédale parcimonieuse et du toucher si juste de Pauline Chenais, dont les « quasi pizzicatos », chez Mendelssohn et Boulanger, imitent à s’y méprendre le violoncelle d’Angèle Legasa ou le violon de Fanny Fheodoroff – à moins que ce ne soit l’inverse ? Transparence des textures, mises en valeur par une très large palette de nuances et de modes de jeux, dont les contrastes épousent la pluralité de matières propre à Clémence de Grandval (Intermezzo et Allegro) et Mel Bonis (Soir et Matin). Souplesse, enfin, dans les phrasés conçus au-delà même du son, en relais instrumentaux (superbe passage en sourdine D’un soir triste), en imitations parfois (Allegro de Grandval) : l’entente évidente du trio s’y manifeste tout particulièrement.

Très remarqué, l’extraordinaire Postscriptum de Lera Auerbach mettant en œuvre la transformation dramatique d’un thème alla Rachmaninov. Élégiaque, le thème est déroulé en la mineur au violoncelle puis au violon, sur un accompagnement formulaire pianistique simple, avant d’être contredit par des distorsions, glissandos, chromatismes, autant d’accidents transformant la mélancolie initiale en une plainte déchirante et déchirée. Une belle fin de festival, à suivre… en 2023.

Toulon, Festival Présence Compositrices, les 21 et 22 novembre.

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