A la Philharmonie de Paris, Klaus Mäkelä déconcerte dans la Symphonie n° 2 de Mahler

- Publié le 1 décembre 2022 à 11:51
Klaus Mäkelä
Précédée par une courte création de Betsy Jolas, cette « Résurrection » a semblé entachée de trop nombreux maniérismes, malgré un degré de réalisation phénoménal.

Symphonie monde, la « Résurrection » de Mahler se suffit amplement à elle-même. Mais sans doute pour cocher la case création dans son cahier des charges, l’Orchestre de Paris la fait précéder ce soir par une œuvre nouvelle de Betsy Jolas. Contrairement à ce qu’indique son titre, Latest ne sera pas l’ultime partition symphonique de la compositrice nonagénaire (elle a en effet, depuis, cédé à la demande de Simon Rattle d’en écrire encore une pour le LSO). Cette page d’un seul tenant déploie en une quinzaine de minutes ses textures étales, tourmentées par une abondante percussion. Si l’on admire une science des alliages aussi virtuose qu’un contrepoint tout en miroitements, le discours, volontiers consonant, semble chercher sa direction sans vraiment la trouver. Certes très décoratif, ce vaste tableau se fige, jusqu’à une ponctuation pied-de-nez (les musiciens chantent l’ultime note) qui relève davantage de l’anecdote que du coup de théâtre.

Après cette sympathique mise en bouche, les choses sérieuses commencent. Dès le début de la Todtenfeier, on est frappé par l’extrême concentration de chaque pupitre et la densité du son qui en découle. Aucun doute : l’Orchestre de Paris peut désormais se mesurer aux plus illustres phalanges mahlériennes de la planète. Mais se perçoit aussi, d’emblée, une forme de nervosité dans le jeu qui fait planer sur le mouvement des nuages angoissés. De pianissimos diaphanes à quelque explosion fortissimo, l’amplitude dynamique est phénoménale (la salle l’autorise, contrairement à l’Auditorium de Radio France qui fut naguère un obstacle pour le Philhar et Mikko Franck). Ces saccades, qu’amplifie aussi une alternance d’accélérations et de coups de frein, accentuent jusqu’à l’artifice les fluctuations du sentiment. « D’un bout à l’autre avec une expression grave et solennelle », précise Mahler : on n’entend ni ce caractère ni cette unité.

Effets de manche

Au début de l’Andante moderato, les cordes montrent encore une fabuleuse cohésion, bientôt rejointes par une harmonie tout aussi glorieuse. Mais à nouveau, les effets de manche se succèdent, Klaus Mäkelä variant parfois l’amplitude comme s’il jouait avec un potentiomètre. Bien que tout soit parfaitement sous contrôle, le mouvement peine à trouver sa respiration naturelle. À ce jeu-là, les sarcasmes joyeux du Scherzo parviennent davantage à se libérer, le geste se faisant alors plus unitaire, moins entaché des tics expressifs qui perturbaient les deux volets précédents.

Lorsque, dans « Urlicht », la voix de Wiebke Lehmkuhl s’élève, d’une absolue noblesse (par le métal, les mots, le souffle), l’église semble reprendre sa place au centre du village, chaque pupitre rivalisant de délicatesse pour sertir ce somptueux chant des abysses. Répit, hélas ! de courte durée, brisé par l’entame tonitruante d’un dernier mouvement qui se perd à nouveau en inutiles sautes d’humeur.

Entendons-nous bien : le niveau de réalisation, dans le moindre détail, est absolument fabuleux, en particulier dans le passage où la banda, en coulisse, fait sonner ses appels de l’au-delà. Le chœur montre un degré de préparation sidérant (merci Ingrid Roose). Quand entre le soprano de Mari Eriksmoen, un ange passe, tout en sourires radieux, partageant ensuite un sublime duo avec la contralto – comment deux voix si dissemblables peuvent-elle à ce point fusionner dans la même ferveur ? Mais le disparate de l’écriture n’a nul besoin d’être souligné par les maniérismes auxquels le chef soumet trop souvent ses troupes. Ne pouvant se rater à l’instant fatidique de la résurrection, il lâche les chevaux sans complexe en une déflagration sonore qui emplit tout l’espace, musclée encore par les ronflements du grand orgue de la Philharmonie. Si c’est, de fait, très impressionnant, il n’est pas interdit d’entendre dans cette débauche de décibels une démonstration un rien gratuite.

Klaus Mäkelä est un chef brillant, il le prouve une nouvelle fois, mais gare à l’hybris ! Car il est une qualité essentielle qui semble lui avoir manqué ce soir face à la musique : l’humilité.

Jolas et Mahler par Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris. Philharmonie, le 30 novembre. Autre date : le 1er décembre. En replay sur Philharmonie Live

.

Diapason