La playlist de David Kadouch

- Publié le 17 janvier 2023 à 10:18
Le pianiste nous dit quels disques accompagnent les moments heureux ou plus sombres de son existence.
L'Homme de la Mancha avec Jacques Brel

Le disque qui a bercé votre enfance

L’Homme de la Mancha, la comédie musicale avec Jacques Brel. Le fils de Mitch Leigh, son compositeur, était l’un de mes meilleurs amis d’enfance, à Nice, et tout petit, son père me racontait ses souvenirs, notamment sa formation auprès de Hindemith — je ne savais pas du tout de qui il s’agissait ! Il fut aussi le premier à croire en moi, en aidant par exemple mes parents à acheter un piano. Enfant, j’écoutais le disque en boucle, désormais je reviens plutôt à « La Quête »… Brel fut pour moi la porte d’entrée vers cet art des plus grands chanteurs, comme Barbara, que je ne différencie pas aujourd’hui de celui d ‘un Chopin.

Le disque qui vous a fait devenir pianiste

A huit ou neuf ans, casque vissé sur les oreilles dans ma chambre, j’écoutais énormément… les fins de concertos. Notamment Duchâble dans le Concerto en solde Ravel. J’imaginais mes parents, à l’Opéra de Nice, assistant à mon succès sur scène et m’applaudissant depuis la salle. J’ai bien conscience que la recherche de la fierté parentale est une réponse d’une hauteur toute relative, mais je l’assume !

Le disque qui vous a le plus appris

Le « Vivaldi Album» de Cecilia Bartoli. Double apprentissage. Sous l’égide du Giardino Armonico, avec cette manière de rebondir sur les temps, cette façon organique et dansante de vivre la pulsation, que j’ai concrètement cherché à mettre en pratique au clavier dans l’intégration d’une forme de swing, et qui m’a ouvert un monde de liberté. Et grâce à l’art de Cecilia de nous faire comprendre que l’ornementation n’est pas une décoration ponctuelle, mais l’essence de l’interprétation, supposant des choix permanents entre ce qui est important et ce qui l’est moins. Là encore, j’en ai tiré la leçon sur la place de l’improvisation au concert.

Le disque que vous écoutez quand tout va mal

J’appartiens à l’école de ceux qui ont besoin d’aller encore plus mal en écoutant des musiques qui font pleurer ; on se sent moins seul dans son chagrin, en compagnie de grands artistes. Le deuxième mouvement du Concerto n° 1 de Chopin par Evgeny Kissin en 1984 m’est indispensable. Disque miraculeux et mystérieux, tant on échoue à comprendre qu’un enfant de huit ans puisse faire sienne la complexité d’affects d’une telle œuvre. Et idéal pour envisager d’aller mieux, car même si on est bien dans un profond tunnel de mélancolie, on devine une lumière tout au bout.

Le disque le plus érotique

Tout Scriabine est une grande quête de l’orgasme ! Qui culmine avec la volupté de Horowitz dans l’ Etude op. 8 n° 12 à Moscou, dont la sensualité est encore plus troublante qu’elle s’accompagne d’une dimension tragique. Mais il y aurait aussi Vers la flamme par Volodos et… Boulez, dans Le Poème de l’extase, même s’il n’est pas le premier nom qui vienne à l’esprit en matière de transport érotique !

Le disque qui transcende le kitsch

J’ose à peine répondre Régine Crespin dans La Reine de cœur de Poulenc… Utiliser la voix, la diction, d’une manière que personne ne se permettrait aujourd’hui, mais qui nourrit l’auditeur avec une légère honte de manger aussi sucré ! Je serai donc plus consensuel, et opterai pour l’album sur l’opéra américain de Renée Fleming, « I want magic », titre de l’air de Blanche Dubois dans Un tramway nommé Désir d’André Previn. Elle en fait des tonnes, c’est à la frontière de la comédie musicale, mais je m’y vautre avec une délectation totale.

Le disque à passer pour votre enterrement

S’il n’est pas interdit de choisir quelques secondes d’un de mes enregistrements… La petite mélodie d’une minute trente de Fanny Mendelssohn, Opus 4 n° 2, qui figure à la fin de mon album « Les musiques de Madame Bovary ». D’abord car aucune ne m’évoque si bien Emma, et que j’aime cette idée de ne laisser de soi qu’un parfum léger, en passant sur la pointe des pieds.

Diapason