Varèse, Rihm et Bill Viola à la Philharmonie de Paris

- Publié le 24 janvier 2023 à 16:39
Avec “Déserts” et “Jagden und Formen”, Edgard Varèse et Wolfgang Rihm jouent, chacun à leur manière, de sons et de formes. Sons électroniques et instrumentaux chez Varèse proposent une double idée d’un désert « extérieur » et « intérieur ». Familles instrumentales opposées ou complémentaires jouent, chez Rihm, du foisonnement et de la permanence.
Varèse, Rihm et Bill Viola à la Philharmonie de Paris

Enchâssées dans les sections instrumentales de Déserts, des phases de sons enregistrés combinent bruits industriels (recueillis dans diverses usines de Philadelphie), sons de percussions (bois et peaux) et d’orgue (enregistré à l’église St. Mary of the Virgin de New York), filtrés, transposés, retravaillés. L’ensemble obéit à un processus de prolifération, évolution constante de plans et de matières sonores, incluant quelques points de repères caractéristiques, rappels d’événements antérieurs à la manière de « déjà vus » : ici, un son de cloche, là un motif obstiné. Jusqu’à aboutir à un effritement généralisé, « désertification » au sens propre du matériau sonore.

La réponse visuelle offerte par Bill Viola en 1993, est double, conformément au double univers imaginé par Varèse. Images – frisant parfois l’abstraction – de déserts pierreux ou sablonneux et de no man’s lands citadins, d’éclairs et de feux accompagnent les sections instrumentales. Les interpolations, quant à elles, montrent un homme, en plan de plus en plus rapproché, aux mouvements ralentis : il marche, s’attable à un repas solitaire, allume une lampe, fait tomber un verre empli d’eau qui se brise et finit, dans la dernière interpolation, par plonger dans l’eau, rappel du corps fugitivement entrevu plongeant dans la mer au début de la première section instrumentale. La dernière – brève – section instrumentale montre la lampe immergée – toujours allumée –, coexistence ultime des deux déserts physique et psychique.

Les limites du son

À l’instar de Varèse, Rihm travaille le son, dont l’œuvre repousse les limites comme elle outrepasse celles de la « forme », plus que la note : attaques, résonances, tenues, impulsions, osent les extrêmes des tessitures, des nuances et des textures. Tout est, ici aussi, prolifération constante, à l’image des lignes entrelacées des deux violons, contrepoint serré et complexe. Vient à l’esprit un autre sens de « Jagden », celui de la « caccia » renaissante, opérée par les divers « blocs » – cordes, vents – tour à tour ponctués de percussions, égrenant notes répétées ou formules brèves obstinées, figurant l’avancée du temps, esquissant un galop de percussions, sorte d’exaspération progressive confinant par moments à la danse « sacrale », chaque instrument poursuivant sa propre course. À l’opposé, des sections alenties, lignes tendues de valeurs longues, jouant sur les résonances, la transparence, la douceur d’un son presque immobile, « engluant » les formes en des contours plus vagues. À cette musique de solistes, somptueuse et émouvante – autant que diaboliquement difficile – « forme informelle », tous les pupitres de l’Ensemble intercontemporain excellent, virtuoses au possible, évoluant avec aisance entre sauvagerie et douceur, enlevés par un Matthias Pintscher parfait, donnant la parole juste à chaque son, à chaque intention. Du grand art.

Edgard Varèse, Déserts ; Wolfgang Rihm, Jagden und Formen. Ensemble intercontemporain, Matthias Pintscher. Philharmonie de Paris, le 22 janvier

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