L’étude de l’évolution du langage musical d’un compositeur est un exercice passionnant. Le plus souvent, les premières œuvres sont empreintes d’influences presque envahissantes (souvent liées à un mentor ou une personnalité admirée), puis graduellement la personnalité s’en affranchit pour proposer une voix propre et nouvelle. C’est le cas d’Edward Elgar, à qui est dédiée la première partie du concert de ce vendredi soir à la Maison de la radio.

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Nicolas Altstaedt
© Marco Borggreve

Le quintette à vent Harmony Music n° 2 est la production d’un jeune compositeur de 21 ans qui écrit de quoi déchiffrer pour son ensemble de musique de chambre. Sorte de divertimento classicisant, cette page légère et étonnante (est-ce du Elgar ou du Mozart ?) constitue une ouverture miniature bienvenue. Les solistes de l'Orchestre Philharmonique de Radio France en révèlent toute la pétillance. Aux flûtes, Magali Mosnier mène la danse d’un son virevoltant tandis que Michel Rousseau définit une première couche d'accompagnement harmonique ponctuée de réponses en écho. Victor Bourhis tire de sa clarinette une seconde couche aux tons satinés, propice aux contrechants délicats du hautbois de Jérôme Guichard. Tout en dynamique et légèreté, le basson de Julien Hardy relance sans cesse un discours qui pourrait devenir bien plat.

Changement de ton pour le Concerto pour violoncelle, œuvre d’un compositeur sérieux qui a fait ses preuves. Les bulles aériennes lumineuses du morceau précédent disparaissent au profit d’une musique au lyrisme désespéré. Drapé d’amples tissus couleur ébène, Nicolas Altstaedt entre sur scène tel un pèlerin revenant d’un long voyage en milieu désertique ; il va nous plonger dans une interprétation à la fois humble et exceptionnelle. Il serait pourtant facile de tomber dans le piège de l’épanchement surjoué dans cette partition. Ce n’est pas le cas ce soir : avec un son sombre et sobre, un phrasé subtil et élégant, le soliste propose une interprétation tourmentée sans être larmoyante, tout en souplesse et résonances.

Loin des versions pesantes où chaque note contient toute la souffrance du monde avec vibrato XXL envahissant, on profite de toute la diversité de ce que peut offrir un violoncelle : diversité de timbres, de nuances, de dynamiques. Le staccato pianissimo lumineux en fin de deuxième mouvement est confondant tandis que les mouvements lents déploient de longues phrases à la narration captivante, où l’expressivité est bien plus saisissante que le discours stéréotypé de bien des versions. Du grand art.

L’écoute réciproque entre Nicolas Altstaedt et le Philhar' est également remarquable. Alors que la cheffe Simone Young est attentive à ne jamais couvrir le soliste, on apprécie le travail mutuel sur les sonorités : c'est ainsi qu'à la fin de la cadence inaugurale de l’œuvre, les altos prennent la suite du violoncelle dans une continuité de timbre confondante tandis que, dans le quatrième mouvement, les unissons avec les pupitres de cordes graves puis avec les violons et finalement avec les bois sont l’occasion de couleurs sans cesse renouvelées, des plus sombres aux plus éthérées.

Le violoncelliste paraît sensible à cette symbiose : à l’issue du concerto, il ne saluera jamais seul. Tout est collectif jusqu’à son bis, le deuxième mouvement de la Sonate en sol majeur de Jean-Baptiste Barrière en compagnie d’Adrien Bellom, chef d’un pupitre de violoncelles éblouissant ce soir. Nicolas Altstaedt tourne son estrade vers son partenaire, leurs sonorités se mêlent et nous voilà plongés dans les résonances gambistes simples et pénétrantes de la première partie du XVIIIe siècle.

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Simone Young en répétition avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© Christophe Abramowitz / Radio France

Du ténébreux mi mineur d’Elgar au ténébreux mi mineur de Tchaïkovski il n’y a qu’un pas : celui de l’entracte à l’issue duquel retentit le thème si résigné de la Providence qui ouvre la Cinquième Symphonie du compositeur russe. Simone Young en livre une interprétation lyrique généreuse d’où émane un hédonisme sonore agréable. À ce titre le second mouvement est des plus convaincants, chaque pupitre reprenant le thème énoncé d’abord magnifiquement par le cor d’Alexandre Collard, comme le regret mélancolique d’un passé révolu à jamais.

La matière sonore des cordes est belle, très belle, mais presque trop généreuse par moments, à tel point qu’on entend parfois à peine les bois dans les tuttis forte ! Leurs apports, même de coloration ponctuelle, présente pourtant un intérêt non négligeable. Malgré quelques passages parfois un peu plats à cause de raideurs rythmiques au cours de l’œuvre, l’ultime mouvement est animé d’un dynamisme plein d’enthousiasme qui évite de basculer du côté de la marche martiale pompeuse. Enthousiasme communicatif tant on ressort réjoui après cette soirée lyrique grisante.

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