Un plantureux Baiser de la fée par Vladimir Jurowski à Londres

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Igor Stravinsky (1882-1971) : Le Baiser de la Fée [ballet en quatre scènes]. Piotr Ilitch Tchaïkovsky (1840-1893) : La Belle au Bois dormant [trois extraits, arrgmt I. Stravinsky]. Vladimir Jurowski, Orchestre Philharmonique de Londres. Mars 2018. TT 55’21 Livret en anglais. LPO 0126

Avec le London Philharmonic dont il fut Principal Conductor de 2005 à 2021, Vladimir Jurowski a pu engranger quelques importants jalons du répertoire russe, notamment la prodigieuse triade chorégraphique du jeune Stravinsky. Des lectures solides et puissantes, parfois au détriment des ambiances ainsi que le soulignaient nos colonnes au sujet de L’Oiseau de feu et du Sacre du printemps. Observons que l’album titrait « vol 1 » quoique Pétrouchka fût précédemment gravé en mars 2015, en complément de l’ésotérique Orpheus. Comme dans la Symphonie no 11 de Chostakovitch que nous commentions en avril 2021, le sens narratif s’y faisait parfois velléitaire. On en dirait autant du présent « volume 2 », qui navigue entre brio et neutralité.

Le Baiser de la Fée se veut un hommage à Tchaïkovski dont il recycle diverses mélodies pianistiques et vocales. Commandé par Ida Rubinstein en 1927, inspiré par un conte d’Andersen (Isjomfruen, 1861), ce ballet évoque l’union fatale d’un jeune Suisse et de la Fée des neiges, qui le ravit finalement à sa fiancée pour l’emmener dans son empire éternel. Stravinsky en condensa un Divertimento qui fut enregistré par quelques grandes baguettes (Ferenc Fricsay, Igor Markevitch, Fritz Reiner, Riccardo Chailly, Semyon Bychkov…). À l’instar d’Ernest Ansermet (mai 1951 puis mai 1962), Vladimir Jurowski est de ces rares chefs à avoir abordé à la fois cette Suite (Pentatone, octobre 2004) et l’intégralité des quatre scènes originales. Avec ses musiciens de Leningrad, Evgueni Mravinski (réédition en SACD chez Praga) traçait une fable en noir et blanc d’essence tragique. Riccardo Muti (Sony, avril 1993), David Atherton (Virgin, novembre 1994) et Oliver Knussen (DG, novembre 1995) ciselaient les textures néoclassiques avec raffinement, orbitant parfois dans le sillage décanté de l’Apollon Musagète contemporain.

Tout comme Ansermet, Jurowski déporte cette subtilité vers un humour volontiers truculent, aux accents presque vaudois dans les danses de la fête villageoise qui profite des grasses couleurs du London Philharmonic. Dans l’Allegro sostenuto, le Vivace agitato, le maestro sait être anguleux comme l’ancienne gravure de Guennadi Rojdestvenski (Melodiya), dont il fut l’assistant auprès de l’Orchestre de la Radio soviétique. Il n’élonge pas l’épilogue, et aura concentré une lecture tendue et savoureuse, sensuelle et charpentée, sans toutefois retrouver l’intense caractérisation du compositeur lui-même à Cleveland (Columbia, décembre 1955), préférable au remake stéréo d’août 1965 capté à Hollywood.

À l’exemple de Neeme Järvi (Chandos), le programme est abondé par le Pas-de-deux de Barbe-bleue, tiré de la Belle au Bois dormant et arrangé par Stravinsky, qui en orchestra aussi deux extraits retranchés après les premières représentations pétersbourgeoises. Ces trois compléments sont ici encore magnifiés par l’interprétation généreuse et sanguine de la phalange anglaise. Rappelons que Jurowski n’en était pas à son coup d’essai dans les ballets tchaïkovskiens, puisque sa discographie compte rien moins que les trois grands opus du maître, avec l’Orchestre d’Académie d’État de Russie (sous étiquette ICA, et Pentatone pour Casse-Noisette et Le Lac des Cygnes).

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 8-9 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

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