Maurizio Pollini : mort d'un passeur passionné

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Maurizio Pollini : mort d'un passeur passionné

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Maurizio Pollini
Maurizio Pollini
© Getty - Hiroyuki Ito

Le pianiste italien Maurizio Pollini est mort ce 23 mars 2024 à l'âge de 82 ans. Légende du piano, il a marqué l'histoire grâce à ses interprétations du grand répertoire romantique et sa volonté de démocratiser la création contemporaine.

Il était l'un des plus grands pianistes du XXe siècle, et un des plus discrets envers les médias. Cet « intellectuel du piano », entièrement dédié à la musique, était un amoureux passionné de son instrument dont il aimait « la neutralité qui engendrait une diversité infinie de nuances et de couleurs ».  France Musique lui rend hommage dès ce samedi.

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La nouvelle de la mort du pianiste a été annoncée par le Théâtre de la Scala de Milan, qui "pleure" la disparition de "l'un des grands musiciens de notre temps, et une référence fondamentale dans la vie artistique du Théâtre depuis plus de cinquante ans". L'un de ses derniers concerts en Italie avait eu lieu à Rome en 2022, lorsque, après cinq ans d'interruption, il avait joué à l'Académie de Sainte-Cécile.

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Tout au long de sa carrière Maurizio Pollini n’a eu de cesse de tisser des liens entre le grand répertoire pianistique et la création contemporaine, dont il était fervent militant. Comme il aimait à le raconter, son goût pour la découverte et la modernité lui venait de sa famille : un père architecte réputé et un oncle sculpteur lui ont insufflé une curiosité pour la création contemporaine dès son plus jeune âge. A la maison, la musique était importante aussi : les parents mélomanes et musiciens amateurs accomplis, reconnaissent très vite l’appétence du jeune garçon pour le piano. Premiers cours à 6 ans, premier concert quatre années plus tard.

Jusqu’à ses 18 ans, il étudie le piano, et ensuite la direction d’orchestre et la composition, au conservatoire de Milan, sa ville natale. Une ville qui le nourrit par la richesse de sa vie culturelle : Milan est un repaire pour les musiciens légendaires tels Arthur Rubinstein, Victor de Sabata, Karajan ou Toscanini, « un miracle de rigueur et d'expressivité ». Deux épithètes qui marqueront toute la carrière du jeune pianiste en devenir.

Une carrière qui prend son envol dès ses 18 ans : en 1960, Maurizio Pollini remporte le Premier Prix au Concours International Chopin de Varsovie, «alors qu' [il] n'aime pas ce genre d'épreuve pour singes savants». Le jury est alors composé, entre autres, d’Heinrich Neuhaus, Nadia Boulanger et d’Arthur Rubinstein qui déclarera par la suite : « Il joue mieux qu’aucun d’entre nous ». Plus que le ticket gagnant qui lui ouvre les portes des plus grandes salles à travers de l’Europe - la même année il joue à la Scala sous la direction de Sergiu Celibidache, le concours Chopin marque pour le pianiste le début d’une amitié profonde avec Rubinstein qui « représentait le lien avec les grands créateurs du XIXe siècle. » Et avec la lignée des plus grands interprètes de son instrument des générations précédentes, ses modèles : Wilhelm Backhaus, Artur Schnabel, Wilhelm Kempff, Walter Gieseking, Vladimir Horowitz,  ou Rudolf Serkin.

Mais à peine lancé, le jeune prodige sort déjà des clous : il deviendra pianiste, mais pas à n'importe quel prix. Pendant un an et demi, il ne donne plus de concerts. Il travaille à élargir son répertoire, et assiste aux master-class de son compatriote, le discret Arturo Benedetti Michelangeli, «un artiste d'une telle exigence, également extraordinaire technicien du clavier, » ce qui finit par déterminer sa voix : « J'ai repris calmement le chemin des concerts, en réduisant mes engagements. Je donne toujours une quarantaine de récitals par saison. C'est un bon équilibre.»

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Donner la voix aux poètes modernes

Un équilibre qu'il retrouve aussi bien dans son approche de l'interprétation - sans excès, fidèle au texte, mais très investie, que dans les choix des œuvres. Acclamé pour ses interprétations du « grand répertoire » du XIXè,   le pianiste ne se passionne pas moins pour les œuvres du XXe siècle, et cela dès les années 1970. De Bach à Bartók, ses apparitions sur les podiums sont plébiscitées à travers le monde et les enregistrements abondamment récompensés. Ses complices de scène, devant les plus grandes phalanges du monde, ou, plus rarement, en formation de chambre, s'appelaient Karl Böhm, Herbert von Karajan, Pierre Boulez, Peter Eötvös ou Claudio Abbado, avec qui il a partagé 50 ans de musique et d'amitié profonde, ou encore Mstislav Rostropovitch ou Dietrich Fischer-Dieskau, avec lesquels il a gravé certaines des plus beaux moments de complicité musicale. Et si l'on associe le nom de Maurizio Pollini avec Beethoven ou Chopin en particulier, dont il a souvent joué les intégrales des Sonates et Etudes en concert, il est indissociable de la musique atonale, que le pianiste interprétait avec la plus grande conviction. La qualifiant d'une « démocratisation des sons », il a intégré à son répertoire les œuvres de Schoenberg, Berg, Boulez ou Stockhausen, «ces poètes modernes», et en a créé nombreuses autres de Giacomo Manzoni, Salvatore Sciarrino et notamment de Luigi Nono, ami et collaborateur très proche.

Engagé en faveur des causes sociales ou humanitaires : dans les années 1970 il a joué aux cotés des ouvriers dans les usines, pour la paix au Viet-Nam ou encore contre les dictatures en Amérique Latine, Maurizio Pollini se dira surtout militant de la création contemporaine auprès d'un public non-initié. Son concept Progetto Pollini, lancé dans les années 1990, a fait le tour du monde, de Rome à Tokyo. Mettre en miroir les œuvres du grand répertoire et de la musique contemporaine dans ses concerts, a-t-il expliqué, «oblige le public de véritablement écouter les œuvres contemporaines et de se rendre compte de leur grandeur.»  Et à terme, à «changer son attitude à propos de ce répertoire. »

Ses concerts, rares, ont toujours été des événements. Un choix délibéré pour ce passionné mesuré qui choisissait ses programmes avec un « égoïsme épouvantable » pour être sûr d'être toujours content de passer des heures en leur compagnie. Ce qu’il conseillait d’ailleurs à tous les jeunes pianistes : « La chose la plus importante, c'est d'aimer la musique, et de passer des heures importantes et riches à jouer du piano. » Ce piano, auquel il a consacré sa vie.

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