A Lyon, une “Fille du Far West” de Puccini couleur sépia

- Publié le 18 mars 2024 à 11:00
Si le terne spectacle de Tatjana Gürbaca déçoit, Chiara Isotton tire son épingle du jeu dans le rôle-titre. Le grand triomphateur de cette nouvelle production reste Daniele Rustioni, qui empoigne la partition avec un sens du théâtre fabuleux.
La Fille du Far West de Puccini

L’Opéra de Lyon célèbre le centenaire de la mort de Puccini en programmant sa trop rare Fanciulla del West. L’œuvre présente des enjeux dramatiques sans prétention, qui autorisent toutes les audaces. Or l’audace, c’est justement ce qui a manqué à Tatjana Gürbaca, metteuse en scène qu’on a connue bien plus inspirée en d’autres circonstances – Werther à Zurich, Katia Kabanova à Genève… Dénué de parti-pris comme de second degré, son spectacle est par ailleurs assez fruste sur le plan visuel. Devant un grand ciel gris, un étrange et modeste décor tournant, dans des tons sépias, servira pour les trois actes – il apparaîtra fracassé au dernier, sans qu’on sache pourquoi. Les costumes sont aussi peu séduisants, en particulier ceux de Minnie, qui passe d’une robe en lamé kitchissime à un pyjama fleuri guère seyant. Les mouvements sont certes réglés avec un savoir-faire incontestable, et rien ne vient troubler la narration – mais rien ne l’éclaire non plus. Surtout, la fantaisie qu’appelle ce tendre western reste aux abonnés absents. Dommage.

Se consolera-t-on avec les voix ? Chiara Isotton est une Minnie plus jeune, au soprano moins dramatique, au tempérament moins ravageur aussi, que celles qu’on entend d’ordinaire. Le timbre charnu sur toute la longueur de la tessiture comme l’art du phrasé exemplaire font merveille dans les moments d’abandon – ainsi lorsqu’elle évoque ses souvenirs d’enfance au I (« Laggiu nel Soledad »). Dans les colères et les emportements du II, l’artiste donne tout d’elle-même, avec une vaillance sans défaut, poussant sa voix dans ses extrêmes retranchements sans compromettre pour autant la fermeté du dessin mélodique.

Impeccables petits rôles

Si le Dick Johnson de Riccardo Massi brille d’un éclat parfois discret dans l’aigu, le timbre ne manque pas de charme, un rien barytonnant par instant, la ligne est nuancée, les regrets empreints de sincérité (« Ch’ella mi creda libero e lontano »). Le Jack Rance de Claudio Sgura a l’émission qui bouge au début – sa déclaration d’amour (« Minnie, dalla mia casa son partito ») en souffre quelque peu ; ce shérif montrera davantage d’aplomb par la suite, bien que l’on en ait connu de plus carnassiers, de plus généreux dans le cantabile. La galerie des petits rôles est très bien distribuée. S’en distinguent en particulier le Nick de Robert Lewis, ténor tout en lumière et souplesse, l’Ashby de Rafal Pawnuk, belle basse au fort caractère, la Wowkle de Thandiswa Mpongwana, mezzo au capiteux velours, ou encore le Jack Wallace de Pawel Trojak qui lance sa nostalgique chanson (« Che faranno i vecchi miei ») avec juste ce qu’il faut de larmes, reprise ensuite par un chœur d’hommes impeccablement préparé – ce qui se confirmera dans ses invectives au III.

Le grand triomphateur de la soirée reste cependant l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, que son directeur musical Daniele Rustioni hisse sur des sommets de raffinements irrésistibles, faisant miroiter et palpiter les alliages instrumentaux avec un art du mouvement qui ne connaît aucune baisse de régime. Dès l’introduction, cette battue hyper-active empoigne la partition, puis cisèle trois actes durant les sortilèges que Puccini a mis dans son écriture, avec toute une palette de sentiments et d’atmosphères qui à chaque instant font vibrer la corde sensible du théâtre.

La Fille du Far West de Puccini. Lyon, Opéra, le 15 mars. Représentations jusqu’au 2 avril.

Diapason