Disparition du pianiste Byron Janis

- Publié le 18 mars 2024 à 00:26
Byron Janis
Celui qui fut l’un des rares élèves de Vladimir Horowitz s'est éteint jeudi dernier dans un hôpital de New York. Il avait 95 ans.

Une légende du piano vient de s’éteindre, dont l’existence s’est confondue avec l’Histoire du XXe siècle. Byron Janis naît le 24 mars 1928 à McKeesport, en Pennsylvanie, de parents juifs d’Europe de l’Est émigrés aux États-Unis. Enfant prodige, il prend ses premières leçons à l’âge de quatre ans auprès d’Abraham Litow, joue pour la radio locale six mois plus tard, fait ses débuts à neuf ans à Pittsburgh le 15 octobre 1937, interprète à quinze ans le Concerto no 2 de Rachmaninov. Le 20 février 1944, il reprend le même concerto sous la baguette du jeune Lorin Maazel, toujours à Pittsburgh. Dans le public, un certain Vladimir Horowitz est enthousiasmé et le prend comme élève. Il donnera des leçons à Janis jusqu’aux vingt ans du jeune musicien.

Janis versus Van Cliburn

Janis fait ses débuts au Carnegie Hall le 29 octobre 1948, et réalise ses premiers enregistrements commerciaux la même année pour RCA Victor. Il entre en « rivalité », au sein du catalogue, avec la star de la maison, Van Cliburn. Ainsi, relève le critique Jed Distler, Janis grave en 1959 le concerto de Schumann avec Fritz Reiner, « mais le disque n’est pas publié à l’époque pour ne pas faire doublon avec la version de Cliburn ». D’où un départ pour une maison concurrente : « Victor confiait des tonnes de répertoire à Cliburn, dont certaines pages que je souhaitais enregistrer », racontait Janis. « Mercury m’a fait une proposition que je ne pouvais pas refuser alors je suis parti chez eux. »

En 1960, la grande Histoire frappe à la porte : Byron Janis est choisi pour représenter les États-Unis dans le cadre d’un échange culturel avec l’URSS ; il est le premier pianiste américain envoyé en Union soviétique et y retourne en 1962. Il enregistre alors le Concerto no 3 de Prokofiev et le no 1 de Rachmaninov avec le Philharmonique de Moscou sous la baguette de Kirill Kondrachine, ainsi qu’un programme solo, le tout capté par les ingénieurs de Mercury – la pochette du disque mentionne alors en grands caractères « New! First Time Ever! First recording ever made in Russia by American technical and musical staff », tant l’évènement est important. Il s’agit en effet des premiers enregistrements réalisés par des équipes étrangères en URSS, en même temps que les Chostakovitch du Quatuor Borodine, en plein dégel des relations entre les deux superpuissances. Pendant sa tournée, Janis joue aussi la Rhapsody in Blue de Gershwin – tout un symbole.

Dialogue avec Chopin

En 1967, nouvel événement inattendu : Byron Janis découvre par hasard au Château de Thoiry, non loin de Paris, deux manuscrits inconnus de valses de Chopin, publiées du vivant du compositeur sous les numéros d’Opus 18 et 70 n° 1. Quelques années plus tard, il repère à l’Université de Yale trois autres manuscrits signés par Chopin. Il tourne quelque temps après un téléfilm sur le compositeur polonais.

Sa carrière s’interrompt à la fin des années 1960 pour reprendre, à un rythme moins soutenu, en 1972 : le pianiste souffre d’arthrose au niveau des mains et des poignets. Les remèdes sont un échec et le musicien consomme diverses drogues pour apaiser sa douleur. Il ne révèlera sa maladie qu’en 1985. Parallèlement, Janis se consacre à la composition et livre plusieurs partitions pour des musicals et pour la télévision. Il devient également ambassadeur de la Fondation contre l’Arthrite.

Il laisse une discographie de grande qualité, dont se détachent « des concertos de Liszt ébouriffants de bout en bout », comme l’écrivait Laurent Muraro dans Diapason, de renversants Tableaux d’une exposition, une Totentanz de Liszt phénoménale avec Fritz Reiner, des Rachmaninov qui n’ont pas pris une ride (le no 1 avec Kondrachine, les nos 2 et 3 avec Dorati). Il laisse aussi le souvenir d’un humaniste ayant contribué à briser « le rideau de fer musical », comme l’affirmait le New York Times.

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