Hommage au compositeur hongrois Peter Eötvös

Le compositeur Peter Eötvös s'est éteint à Budapest, le dimanche 24 mars 2024 ©AFP - Fred Toulet / Leemage
Le compositeur Peter Eötvös s'est éteint à Budapest, le dimanche 24 mars 2024 ©AFP - Fred Toulet / Leemage
Le compositeur Peter Eötvös s'est éteint à Budapest, le dimanche 24 mars 2024 ©AFP - Fred Toulet / Leemage
Publicité

Peter Eötvös est mort ce dimanche 24 mars, à 80 ans, des suites d'un cancer. Grand compositeur mais aussi chef d'orchestre, il a été le directeur musical de l'ensemble Intercontemporain. Retour sur les grands moments de sa carrière avec Arnaud Merlin, journaliste et producteur à France Musique.

Né le 2 janvier 1944, Peter Eötvös venait de fêter ses 80 ans. Il devait, à cette occasion, venir à Paris - à la Philharmonie, l'IRCAM et Radio France - pour une série de concerts, nous explique Arnaud Merlin. Mais il avait malheureusement dû annuler sa venue en raison de son état de santé.

"Peter Eötvös est né en Transylvanie, qui était à l'époque en Hongrie, mais on sait que, dans ces régions, les frontières changent assez souvent. Il n'est pas d'ailleurs le seul compositeur à avoir connu ce type d'histoire. Son enfance a été un peu bouleversée par les soubresauts de la Seconde Guerre mondiale, et il s'est ensuite installé avec ses parents à Budapest. C'est là qu'il a vraiment commencé la musique."

Publicité

Peter Eötvös étudie la musique à l'Académie Franz-Liszt de Bupadest, avec notamment le compositeur Zoltan Kodály, "la très grande figure tutélaire à l'époque, nous rappelle Arnaud Merlin. On peut dire qu'il a reçu vraiment dans son sang la tradition hongroise qui le relie à Bartók et à Kodály d'un côté, et puis à Ligeti et à György Kurtág de l'autre. Il commence par le piano et, très vite, on lui met dans les mains des partitions de Bach et de Mozart, mais aussi de Bartók." Peter Eötvös a d'ailleurs déclaré à propos de Béla Bartok : "Pour moi, il parle la langue maternelle absolue de la musique, une langue que je parle en tant que compositeur et chef d’orchestre. La conséquence qui m’amène à parler cette langue maternelle, avec une intonation spéciale, et sur laquelle Bartók a eu une influence particulière, apparaît dans chaque œuvre que je dirige." Jusqu'à la fin, Peter Eötvös parlera beaucoup de ses origines et de cette influence de son compatriote hongrois.

Les Trésors de France Musique
59 min

Un compositeur d'opéra

Peter Eötvös est avant tout connu du public pour ses opéras. Il en a écrit 13, parmi lesquels Trois Soeurs (1997), Le Balcon (2002), et Angels in America (2004). "Il avait énormément de goût pour ça, nous dit Arnaud Merlin. Tout petit déjà, sa mère l'emmène au théâtre, et surtout à l'opéra et à l'opérette. Il a une culture extrêmement large de la musique populaire et de la musique plus savante. Et très jeune, pour gagner sa vie, alors qu'il n'a pas vingt ans, il écrit de la musique pour le théâtre, qu'il accompagne au piano. Il a déclaré avoir beaucoup appris en travaillant dans ces spectacles de théâtre, sur le rapport à la scène bien sûr, sur le rapport entre le texte et la musique, sur le rituel aussi, du théâtre et de l'opéra. Il a aussi été marqué dans son apprentissage par l'opéra vénitien, par l'opéra baroque, mais aussi par Carlo Gesualdo. Peter Eötvös commence à écrire des opéras de chambre dans les années 70, puis compose Chinese Opera dans les années 1980, pour l'ensemble Intercontemporain. "C'était de la musique instrumentale, mais c'était déjà un hommage à la mise en scène, avec des portraits de metteurs en scène."

Le premier opéra de Peter Eötvös, Les Trois Sœurs d'après Tchekhov, est créé à l'Opéra de Lyon en 1998 sous la direction de Kent Nagano. "Cela a a été un immense succès et, par la suite, on l'a énormément demandé pour écrire des opéras. Le dernier a été créé en décembre dernier à Budapest, c'était d'ailleurs son premier opéra en hongrois." On peut également citer Le Balcon d'après Jean Genet, Angels in America donné à Paris au début des années 2000, ou Lady Sarashina. "Peter Eötvös avait à chaque fois un goût très sûr pour le sujet, les livrets, la manière de mettre en musique, de distribuer les rôles. Par exemple, dans Les Trois Sœurs, il a fait quelque chose d'absolument incroyable il y a 25 ans, c'est que tous les rôles féminins étaient chantés par des contre-ténors. C'était tout à fait extraordinaire à l'époque. Une grande influence aussi du Japon dans ses conceptions, dans ses réflexions sur le temps, sur l'art en général. Il avait énormément de goût pour ça."

Une personnalité musicale singulière

"C'est quelqu'un qui avait des sources d'inspiration assez personnelles, nous explique Arnaud Merlin. Il était passionné par la nature, à une époque où on en parlait peut-être moins qu'aujourd'hui. Il était aussi fasciné par le cosmos - il avait été frappé à l'âge de 17 ans par le vol de Gagarine, ça l'avait énormément impressionné. Peter Eötvös disait que ce jour-là, il avait pris conscience qu'il y avait quelque chose au-dessus de nous. Une de ses premières œuvres, composée en 1961, s'intitule d'ailleurs Cosmos." Et cinq ans plus tard, lorsqu'il se rend à l'ouest, à Cologne, le compositeur hongrois va rencontrer quelqu'un qui partage la même fascination pour le cosmos, Karlheinz Stockhausen. "Pendant dix ans, il a œuvré aux côtés de Stockhausen en jouant dans son orchestre, en le suivant un petit peu partout, notamment à l'Exposition universelle d'Osaka en 1970, où il est resté plusieurs mois. Il disait que c'est auprès de Stockhausen qu'il a appris le son, les paramètres, le temps, la forme, le rythme, enfin tout ce qui fait vraiment un compositeur. Et c'est sans doute pour cela que Pierre Boulez, qui était très ami avec Stockhausen dans sa jeunesse, a fait appel à lui en 1979, pour être le directeur musical de l'ensemble Intercontemporain." A ce poste, Peter Eötvös influence durablement la politique de commandes, et la manière de diriger l'orchestre de solistes spécialisé.

Enfin, Peter Eötvös était très intéressé par le jazz et par les musiques populaires. "Il était, par exemple, très ami avec Frank Zappa. Ils avaient un point commun, c'est qu'ils étaient tous les deux passionnés par la musique d'Edgar Varese. Ils se sont rencontrés à Los Angeles, et ils ont fait des enregistrements ensemble. Et puis, quand Zappa est mort, assez jeune, Eötvös lui a dédié son Psaume 151 in memoriam Zappa. C'était aussi un grand passionné de jazz, qu'il connaissait depuis son enfance, parce qu'il l'écoutait à la radio, mais la radio était brouillée, donc quand il a découvert le jazz à Cologne, il trouvait qu'il lui manquait quelque chose, cette espèce de fausse musique électronique qui se rajoutait. Il disait qu'entre deux compositions lyriques ou entre deux grandes compositions de concertos, par exemple, il avait besoin de se nettoyer, en quelque sorte, et il se libérait en écoutant du jazz."

Programmation musicale

  • Peter Eötvös (Compositeur, Chef d'orchestre)

    Trois soeurs : La musique est si vive (Prologue) Olga Macha Irina

    Kent Nagano (Chef d'orchestre), Alain Aubin (Contre-ténor, Olga), Vyatcheslav Kagan-Paley (Contre-ténor, Macha), Oleg Riabets (Contre-ténor, Irina), Orchestre de l'Opéra national de Lyon

    Album Peter Eötvös : Trois soeurs (1999)

    Label DGG (DEUTSCHE GRAMMOPHON) (DGG 459694-2)

L'équipe

pixel