Quand Frédéric Mitterrand parlait musique

- Publié le 25 mars 2024 à 09:31
Frédéric Mitterrand
Il n’était pas musicien et ne faisait croire à personne qu’il l'était. Mais il avait l’ouïe fine, aimait assez la voix pour réaliser un splendide filmopéra (Madama Butterfly, 1995). Et ses carnets ministériels (2009-2012), publiés sous le titre paradoxal de La Récréation (Robert Laffont 2013), fourmillent de récits, portraits, questions et réflexions sur le « monde musical ». Morceaux choisis, tendres et/ou saignants.

INITIATION

Merci Michel, lundi 28 mars 2011

Il y a un peu plus d’un an, je retrouvais pour la dernière fois sur la même rangée de l’Opéra Bastille Michel Glotz, l’imprésario de Maria Callas et de Karajan, l’homme qui m’a fait vraiment aimer la musique classique  […]. Il me manque, et de retour à la maison je m’endors en tournant une nouvelle fois les pages de La Note bleue, son livre de souvenirs.

MUSICIENS

Guerguiev dort peu, vendredi 18 juin 2010

Déambulations alcoolisées et fraternelles avec Valeri Guerguiev autour du théâtre Mariinski qu’il est en train de refaire de fond en comble. Il semblerait que Poutine lui accorde à peu près tout ce dont il a besoin. Il a l’air soulagé de ne plus dépendre autant qu’avant des petits oligarques mécènes ignares qu’il était obligé de divertir à coups de banquets interminables où il fallait en plus aller leur chercher des filles. Il dort quatre heures par nuit, se lave quand il peut, répète à n’importe quelle heure avec un orchestre qui n’a jamais entendu parler du Syndeac, et fonce de toute sa vigueur caucasienne à l’assaut de la musique, le seul royaume qui l’intéresse.

Honneur et courage, mercredi 2 novembre 2011

Arvo Pärt a traversé de longues périodes où il lui était pratiquement interdit de composer, du temps où l’Estonie subissait le régime soviétique. Il vivait alors dans des conditions misérables et se consacrait dans une solitude minérale à l’étude des chants grégoriens et de la musique médiévale. Il est aujourd’hui considéré comme une véritable icône de la vie culturelle dans son pays. Il pleure quand je lui remets la Légion d’honneur devant son ministre des Affaires étrangères et tout un aréopage d’Estoniens et de musiciens français. Intégrité et courage de certains créateurs qui m’impressionnent tant parce que je pense que j’en aurais certainement manqué.

Atys debout, vendredi 13 mai 2011

Atys de Lully à l’Opéra-Comique. Le seul qui soit encore en pleine forme après quatre heures de songes funestes, c’est William Christie. Il émerge de la fosse d’orchestre frais comme un gardon devant un public recru d’admiration et d’épuisement.

ECOLE

L’art attendra, mardi 3 novembre 2009

Luc Châtel se félicite de l’introduction de l’histoire de l’art à l’école. Mais les syndicats de l’enseignement et l’administration ont réussi à engluer la réforme avec une telle application qu’on va se retrouver avec une autre discipline mort-née, comme l’instruction civique en son temps qui était au programme mais que personne n’enseignait sérieusement.

[La mezzo] Malika Bellaribi-Le Moal chez Fadela Amara ; avec une vingtaine d’artistes comme elle on pourrait révolutionner la perception de l’opinion sur les Beurs et donner un élan formidable à l’action culturelle dans les « quartiers difficiles ».

PLEYEL ET PHILHARMONIE

Maradona des podiums, samedi 24 octobre 2009

Gustavo Dudamel est à la musique ce que Maradona fut au foot, et en plus il lui ressemble incroyablement ; une furia qui emporte tout. Le meilleur moment du concert ce soir à la Salle Pleyel : un mambo où tout l’orchestre vénézuélien exsude littéralement la joie. Les jeunes de l’Orchestre Simón Bolívar viennent de la rue et ont atteint un niveau professionnel élevé. Pain bénit pour Hugo Chavez qui les a récupérés pour sa propagande alors que les formations – il y en a plusieurs selon les âges des musiciens – ont été créées il y a trente ans par José Antonio Abreu , un vieux monsieur délicieux qui a traversé tous les régimes et tous les coups d’État.

Fillon pas très Villette, vendredi 26 février 2010

Ça bloque toujours à Matignon pour le financement de la Philharmonie. Laurent Bayle très inquiet.

Boulez ou Sheila ? mardi 27 septembre 2011

Concert de Pierre Boulez à la Salle Pleyel avec Laurent Bayle qui me confirme que le maître est très fatigué et que l’on se demandait cet après-midi s’il aurait la force de diriger. Et pourtant, alors que j’étais allé écouter Le Marteau sans maître et Pli selon pli il y a plus de quarante ans à Chaillot et que j’en étais ressorti à demi-mort d’ennui avec le désir forcené d’écouter Sheila jusqu’à la fin de mes jours, ce soir, par le double effet de sa présence fragile et émouvante ainsi que d’un éventuel progrès de ma perception et de mon goût musical, je trouve le concert superbe. Laurent Bayle parle de Boulez avec l’affection d’un fils pour son père et le détachement amusé d’un disciple qui ne craint plus les foucades de son maître.

Bach et Laurent, samedi 7 avril 2012

Concert à la Cité de la musique, La Passion de Saint Mathieu. Dîner avec Laurent Bayle. On reparle des merveilleux livres de Gilles Cantagrel sur le cantor et de beaucoup d’autres choses encore ayant trait à l’avenir de la Philharmonie. Toujours la même impression de ressortir moins ignorant et meilleur après avoir passé un moment avec lui.

FESTIVAL

Aix, colonie parisienne, samedi 4 juillet 2009

Idoménée, roi de Crète, opéra de Mozart, au festival d’Aix-en-Provence. Marc Minkowski à la baguette, tant mieux. Mise en scène d’Olivier Py, donc beaucoup de beaux gosses déshabillés qui se poursuivent dans un fatras de praticables en évoquant les sans-papiers. La cour de la République s’est déplacée en masse ; enivrée par le rituel de la belle soirée, la députée-maire, Maryse Joissains, que tous ces messieurs-dames de Paris considèrent avec la condescendance amusée des coloniaux à l’égard des chefs indigènes, se désole qu’il y ait si peu de représentations au Grand Théâtre de Provence qu’elle a fait bâtir pour qu’on y donne du « Vaguener, comme à Beyrouth »…  Mettons que j’aie mal entendu, l’accent du Midi sans doute.

MINISTRES

Roselyne et Jean-Philippe, jeudi 3 novembre 2011

Roselyne a beau être une forte femme, elle est amoureuse comme une gamine d’un baryton qui a du coffre. « J’espère qu’ils ont renforcé la literie », me glisse une de ses collègues, bonne copine. C’est un peu la version virile de la Castafiore ; quand il me parle d’une voix tonnante, je vérifie, comme Tintin, que les vitres de mon bureau sont bien « Sécurit ». Au demeurant rigolo et sympathique. Il vient me parler de l’enseignement du chant dans les conservatoires régionaux qu’il juge médiocre. Lui-même est un autodidacte qui a réussi à faire une très grande carrière, la Scala, Bayreuth, le Metropolitan. «  À vingt ans, je ne savais pas lire les notes sur une portée, elles me faisaient penser à de petites pipes ». Roselyne adore l’opéra, elle a l’ouïe fine et sait très bien lire les notes…

Rachida les leur casse, vendredi 25 mars 2011

À propos des visites de Rachida Dati au ministère :
François Fillon, sur la susnommée : « La fouteuse de merde intégrale ! On ne peut absolument pas compter sur elle, elle ment comme elle respire. »
Rachida : « Allez, tu sais bien que c’est pas vrai, tout ce qu’on dit sur moi. C’est des jaloux. Je suis pas comme ça. Mais quand on me cherche, on me trouve ! »
François Fillon  : « Elle me casse les burnes, excusez-moi mais il n’y a pas d’autres mots, elle me casse les burnes ».
Morale de l’histoire  : Rachida est une enquiquineuse patentée ; tout le monde en a peur et la respecte, sans l’avouer.

Et moi dans tout ça ? samedi 22 janvier 2011

Le bon ministre c’est celui qui sent les choses, ne confond pas l’essentiel et l’accessoire et obtient la même vigilance de ceux qui l’entourent. J’ai de sérieux progrès à faire …

Lundi 12 décembre 2011

Colloque des agents de la diplomatie culturelle : « La diversité culturelle, un atout pour la France dans un monde en mouvement ». Les trois B : baratin, bavardages, billevesées. Je fais le discours de clôture, très applaudi  ; je finirai conseiller à Pyongyang si je m’applique.

Vendredi 23 mars 2012

Bernard Kouchner au petit déjeuner : « Ne te fais aucune illusion, tu ne fais pas partie de leur monde. Tu peux leur être utile, ils peuvent se servir de toi, mais ils ne t’aiment pas et te jetteront sans regret à la première occasion. »

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