L’Italiana in Londra de Cimarosa : une divertissante première sur DVD

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Domenico Cimarosa (1749-1801) : L’Italiana in Londra, intermède musical en deux parties. Angela Vallone (Livia), Bianca Tognocchi (Madame Brillante), Theo Lebow (Sumers), Iurii Samoilov (Milord Arespingh), Gordon Bintner (Don Polidoro) ; Frankfurter Opern-und Museumsorchester, direction Leo Hussain. 2021. Notice et synopsis en anglais et en allemand. Sous-titres en italien, en anglais, en allemand, en japonais et en coréen. 157 minutes. Un DVD Naxos 2.110739. Aussi disponible en Blu Ray.

Le fait d’être un compositeur prolifique ne donne aucune garantie quant à la mise à disposition de sa vaste production pour le mélomane. L’Italien Domenico Cimarosa, auteur de près de soixante opéras, en est un exemple marquant. Si le succès d’Il Matrimonio segreto, créé triomphalement à Vienne en février 1792, ne s’est jamais démenti, la plupart des autres œuvres lyriques, dont les premières ont eu lieu à Naples (Cimarosa est originaire de la région), à Rome, à Venise, à Florence ou à Turin, ne sont guère représentées, et encore moins accessibles. Même constatation dans le domaine de la vidéo : Il Matrimonio est sur le marché, notamment dans la production de 2008 de l’Opéra royal de Wallonie (Dynamic), mais pour le reste… On est donc heureux et curieux de découvrir, chez Naxos, la version, filmée les 30 octobre et 5 novembre 2021 à Francfort-sur-le-Main, de L’Italiana in Londra, tout en déplorant le fait que le public francophone soit exclu des sous-titres, une habitude trop fréquente chez ce label.

Lorsque la première de L’Italiana in Londra est donnée à Rome, au Teatro Valle, le 26 décembre 1779, Cimarosa compte déjà à son actif une douzaine d’œuvres lyriques. Ce sera en fait son premier grand succès, repris bientôt à Milan, puis à Venise, avant de faire un tour en Europe. Le livret est de la main du poète Giuseppe Petrosellini (1727-après 1799), qui a travaillé auparavant pour Cimarosa, et le fera pour d’autres compositeurs : il sera l’auteur de l’intrigue de Il Barbiere di Siviglia de Paisiello (1782). Il semble que le texte d’Il finta giardiniera de Mozart (1775) puisse aussi lui être attribué. L’intrigue de cet intermède musical est légère : l’hôtel londonien que tient Madame Brillante, accueille un Lord anglais, Milord Asperingh, un homme d’affaires hollandais, Sumers et un Italien bon vivant, Don Polidoro. Ainsi qu’une jolie demoiselle, Livia, issue d’une bonne famille italienne, mais qui se déclare d’origine marseillaise, et se fait appeler « Mademoiselle Enrichetta ». Deux ans auparavant, Livia a été abandonnée par Lord Asperingh, dont le père n’a pas consenti au mariage sous le prétexte de mésalliance. Toute l’action va tourner autour de situations amoureuses, avec quiproquos et malentendus, et l’introduction cocasse d’une originale pierre magique qui rendrait invisible, l’Héliotrope, une illusion qui vient du Décaméron de Boccace. Tout finira par un happy end : le père de Lord Asperingh autorisera l’union avec Livia, Madame Brillante et Don Polidoro convoleront, sous le regard bienveillant du commerçant hollandais.

Pour ce divertissement sans prise de tête, Cimarosa a composé une musique alerte et une suite de récitatifs et d’airs dans la veine classique, à situer entre Mozart et Rossini, avec une orchestration réduite aux cordes et aux vents (une vingtaine de musiciens), sans présence de chœurs. Chaque acte s’achève par un long ensemble qui réunit les cinq protagonistes de façon ébouriffante. Ce sont là les deux sommets de cette production délassante, présentée dans une optique burlesque, choisie par le metteur en scène allemand R.B. Schlatter, qui compte déjà à son actif des opéras de Mozart ou de Philip Glass. L’optique convient tout à fait à une action dénuée de tout aspect dramatique.

En fond de scène, un demi-cylindre géant parsemé de lignes géométriques sert de décor unique ; des lumières savamment distillées le font vivre au fil du temps. Les costumes, chatoyants et colorés, situent l’histoire dans la seconde partie du XXe siècle. On passe un agréable moment, car tout est mené à vive allure, grâce notamment à la direction incisive du chef anglais Leo Hussain (°1978), qui imprime un dynamisme bienvenu à la partition. Le plateau vocal, réduit à cinq personnages, réunit une distribution maison qui tire son épingle du jeu avec beaucoup de vitalité, l’accent étant mis sur des jeux de scène soignés et en situation.

Dans le rôle de Livia, qui apparaît drapée de façon flamboyante dans un drapeau bleu/blanc/rouge (reproduction sur la couverture de la notice), et sera aussi revêtue d’une robe époustouflante, la soprano Angela Vallone, qui s’est déjà illustrée sur la même scène francfortoise dans Bizet, Mozart ou Richard Strauss, dispose d’une voix claire, qu’elle module dès la cavatine de l’Acte I « Straniera abbandonata ». Le Milord, que son père a empêché d’épouser la belle Livia, c’est le baryton ukrainien Iurii Samoilov, dont l’ampleur a déjà été applaudie au Metropolitan de New York ou à Salzbourg. Il est tout à fait en situation, comme ses compères/rivaux en amour, le baryton-basse canadien Gordon Bintner, qui campe le dragueur Don Polidoro avec vérité et sait se ridiculiser dans l’histoire de l’héliotrope, et le ténor américain Théo Lebow, qui donne au personnage de Sumers un aspect débonnaire. La soprano italienne Bianca Tognocchi complète avec aisance la distribution dans le rôle de la délurée hôtelière. La succession d’airs permet à chacun de se mettre en valeur. Les vastes conclusions de chaque acte, nous l’avons dit, les plonge collectivement dans des échanges des plus savoureux, l’héliotrope, à la fin de l’Acte I, nourrissant une sorte d’excitation générale. 

Ce spectacle bien filmé vient élargir avec opportunité une vidéographie de Cimarosa bien trop maigre. Un hasard heureux veut que le label Dynamic propose de son côté la première mondiale en images d’une autre œuvre lyrique de l’Italien, à savoir Le Astuzzie Femminili, qui a vu le jour à Naples en 1794. Il reste du travail à accomplir pour Cimarosa, qui le mériterait bien. Mais le voilà un peu plus gâté. 

Note globale : 8,5

Jean Lacroix  

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