A La Monnaie, « Rivoluzione e Nostalgia » : Verdi x 16 = Prima la Musica !

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A La Monnaie, Krystian Lada, concepteur, scénographe, metteur en scène, et Carlo Goldstein, directeur musical, ont eu l’idée de refaire avec Verdi ce qu’Olivier Fredj et Francesco Lanzillotta avaient si bien réussi la saison dernière avec leurs Bastarda I et II : proposer une œuvre originale « inentendue » fondée sur les opéras « Tudor » de Gaetano Donizetti.

C’est ce qu’on appelle un « pasticcio » : regrouper toute une série d’airs issus de toute une série d’opéras et les combiner dans une intrigue nouvelle. Une façon de faire qui eut son moment de gloire à l’époque baroque italienne. 

Cette fois, les airs proviennent des seize premiers opéras de Giuseppe Verdi, ses « opéras de jeunesse ». Je les cite pour que vous fassiez le compte de ceux que vous avez entendus en tout ou en partie et de ceux dont vous connaissez juste le titre : Oberto conte di San Bonifacio, Un Giorno di regno, Nabucco, I Lombardi alla prima crociata, Ernani, I due Foscari, Giovanna d’Arco, Alzira, Attila, Macbeth, I masnadieri, Jérusalem, Il corsaro, La battaglia di Legnano, Luisa Miller, Stiffelio.

Ces airs, ils en ont fait les pièces d’un puzzle, d’un double puzzle en fait. 

Le premier intitulé « Rivoluzione ». Nous voilà en Italie en 1968, avec des jeunes gens engagés dans les soubresauts des luttes sociales et politiques d’alors -ça, c’est pour le sociétal- et dans des circonvolutions amoureuses -ça c’est pour le sentimental. On le sait en effet, le collectif se conjugue toujours avec l’individuel. La question posée : « Que restera-t-il de notre époque ? »

Le second, « Nostalgia », nous invite à les retrouver quarante plus tard. La question : « Que reste-t-il des idéaux d’antan ? »

C’est alors qu’on me permettra d’évoquer le fameux débat du Capriccio de Richard Strauss. A l'opéra, qui l’emporte : « prima la musica » ou « prima le parole » ? Pour moi, en ce qui concerne ce projet Rivoluzione e Nostalgia, c’est incontestablement la « musica » !

Quel bonheur d’entendre cette sélection d’airs et d’intermèdes musicaux, en quelque sorte libérés des tours et détours de leurs intrigues respectives. D’être ainsi confrontés à de déjà si grands moments verdiens. Verdi dépasse ce qui l’influence encore, il est déjà bien engagé sur le chemin de celui qu’il va devenir au cours de sa longue carrière.

A La Monnaie, c’est un bonheur : cette « musica »-là est magnifiquement servie par l’Orchestre mené de baguette de maître par Carlo Goldstein (avec de merveilleux moments solistes – ah ! le violoncelle ! ah ! le violon aussi beau musicalement que si juste dramaturgiquement de Saténik Khourdoïan). Cette « musica »-là est si intensément accomplie dans le chant des solistes des deux soirées. Je les cite : Enea Scala, Vittorio Prato, Justin Hopkins, Nino Machaidze, Gabriela Legun, Hwanjoo Chung pour « Rivoluzione » ; Scott Hendricks, Giovanni Battista Parodi, Dennis Rudge, Helena Dix, Gabriela Legun, Paride Cataldo pour « Nostalgia ». Dans le chant des chœurs aussi, et comment !

Cette « musica »-là a d’ailleurs été telle pour moi qu’elle a presque occulté « la parole ». C’est personnel peut-être, mais je ne me suis que peu intéressé aux développements et questionnements de l’intrigue. Plutôt convenus en fait, ils n’étaient finalement pas essentiels. La musique, elle, l’était. Une musique « ramassée » à cause du / grâce au projet, et de ce fait portée à son paroxysme. 

Certes, dans « Rivoluzione », j’ai vu de très belles images scéniques que je n’oublierai pas, dans leur composition, dans leur mise en lumières (Aleksandr Prowalinski), dans l’intervention de danseurs « venus d’ailleurs » (une street dance virtuose chorégraphiée par Michiel Vandevelde) et très justes contrepoints de certains airs. Mais avec une sensation régulière de saturation : il y a trop à voir, à percevoir sur le plateau ; avec en plus, dans « Nostalgia », une impression de « surplace » : les personnages sont là, qui baguenaudent ou boivent un cocktail, pendant qu’un autre, face au public, chante son air. Avec même un certain agacement : pourquoi les danseurs viennent-ils se dandiner au premier plan côté cour pendant le merveilleux solo au violon de la Laura ressuscitée ? 

Oui, la « rivoluzione », c’est bien celle, musicale, qui s’ébauche, se réalise déjà et s’accomplira inexorablement dans l’œuvre de Verdi. Pour répondre aux deux questions posées : cette musique-là est restée ; cette musique-là a épanoui ses idéaux ! Intensément vivante, elle est toujours là aujourd’hui et ne suscite donc aucune « nostalgia » !

Bruxelles, La Monnaie, les 29 et 30 mars 2024

Crédits photographiques : Karl Forster

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