La Cenerentola à Toulouse : Rossini’s Follies

- Publié le 1 avril 2024 à 00:34
Adèle Charvet chante pour la première fois le rôle-titre, dans un spectacle du duo Barbe & Doucet transposé à Broadway dans les années 1930. Nouveau triomphe pour Michele Spotti, à la tête de l'Orchestre du Capitole.
La Cenerentola de Rossini

C’est un secret de moins en moins bien gardé : Michele Spotti (directeur musical de l’Opéra de Marseille depuis cette saison) est, parmi les chefs lyriques qu’on a vus émerger ces dernières années, un des plus aguerris. Il le prouve une nouvelle fois dès la Sinfonia introductive de cette Cenerentola, qu’il pare d’un modelé impeccable, avec des variations de tempos et de dynamiques aussi contrastées que savamment ajustées. Cette battue activiste peut certes s’appuyer sur un Orchestre du Capitole plein de prestiges, sur ses cordes aux couleurs fastueuses, ses cuivres dosés juste comme il faut, ses bois qui, dans les solos, font leur numéro avec des grâces de ballerine. Deux actes durant, cette lecture n’abdiquera ni son énergie ni sa précision lapidaire (la mécanique des ensembles est millimétrée avec une netteté imparable), ce qui n’exclut pas les instants d’abandon poétique. Si la perfection n’est pas de ce monde, ce soir on s’en approche, du moins dans la fosse.

Pleur et velours

On n’en est pas loin non plus sur le plateau, où Adèle Charvet, qui chante pour la première fois le rôle-titre, a tout pour être une grande Angelina : un mélange de pleur et de velours sur la voix, des registres à l’unité aussi infaillible que son agilité. Si la délicatesse de « Una volta c’era un re » fait merveille, si l’humilité de l’incarnation va droit au cœur, l’artiste apprendra au fil des représentations à mieux se libérer, car il faut ce soir attendre le rondo final pour qu’elle brille vraiment de tout son éclat, avec alors dans ses ornements un alliage de chair et d’ivresse irrésistible.

Face à elle, Levy Sekgapane campe un Ramiro très attachant, qui compense un médium un rien modeste par une projection aussi insolente que sa virtuosité. A ces atouts, se mêle, dans son air, une louable diversité d’accents, ce prince passant d’un héroïsme bien tempéré aux tendres émois de la section centrale, avant de conclure sur l’ardeur d’une vocalise couronnée par des aigus sidérants. Son Dandini est Florian Sempey, aussi doué comédien que chanteur, unissant à son cantabile intarissable des rebonds pleins d’ironie dans l’élocution, outre une vivacité dans les phrasés comme dans les regards qui fait mouche.

Bouffonnerie

On oublie vite le grave un peu faible de Vincenzo Taormina, tant ce Don Magnifico élève la bouffonnerie à la dignité du grand art, avec des rondeurs délectables dans l’émission et la ciselure des mots, une maîtrise époustouflante du canto sillabando (ce débit vertigineux sur lequel s’achève « Sia qualunque delle figlie»). De grave, l’Alidoro d’Alex Rosen ne manque pas, élégiaque et somptueux comme un violoncelle au début de son air, mais pâtissant dans la cabalette d’une vélocité malaisée – que de noblesse dans le ton cependant ! Les deux pimbêches de Julie Pasturaud et Céline Laborie, enfin, jouent avec une splendide auto-dérision de leurs appâts et de leurs différences, tant vocaux que physiques.

Dans un décor en toiles peintes à l’esthétique de dessin animé, le duo Barbe & Doucet situe le conte dans le New York des années 1930. Magnifico règne sur un cabaret (le Button Club) où Tisbe et Clorinda sont danseuses légères et Angelina costumière. Le royaume de Ramiro est un établissement plus prestigieux (les Kings’s Follies) dont l’héroïne deviendra la reine – entendez : la vedette, descendant le grand escalier en majesté hollywoodienne. En ces temps où la prohibition a force de loi, le penchant pour la bouteille de Magnifico prend un relief particulier. Mais les metteurs en scène auraient pu tirer un parti plus affirmé de leur transposition : les références au cinéma américain de l’entre-deux-guerres restent discrètes, tout comme le jeu du théâtre dans le théâtre. Ce qui n’atténue guère la franchise avec laquelle les caractères sont dessinés, ni l’efficacité des mouvements, en particulier dans les finales, où une troupe de danseurs rehausse ces tableaux de music-hall aux charmes colorés.

La Cenerentola de Rossini. Toulouse, Opéra national du Capitole, le 29 mars. Représentations jusqu’au 7 avril.

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