A Metz, une Salomé adoucie

- Publié le 8 avril 2024 à 13:14
C'est la version française du chef-d'œuvre de Strauss qui est actuellement à l'affiche en Lorraine. Si la mise en scène semble inaboutie, l’Orchestre national de Metz Grand Est, placé sous la direction de Lena-Lisa Wüstendörfer, tire son épingle du jeu.
Salomé de Strauss

Le livret de Salomé étant une traduction de la pièce en français d’Oscar Wilde, l’Opéra de Metz a fait le choix de monter l’ouvrage dans la langue de Molière. Même si le compositeur a lui-même supervisé cette version, celle-ci ne va pas sans quelques incongruités prosodiques, mais surtout, un changement d’atmosphère : l’œuvre en paraît adoucie, tendant plus vers l’ambiance symboliste d’un Maeterlinck que vers l’expressionnisme des accords straussiens.

Il faut dire que la mise en scène de Joël Lauwers semble tout faire pour aseptiser l’intrigue et en évacuer les excès de violence. Le décor, sombre et triste, évoque un salon ou un hall d’hôtel de style classique aux murs gris plomb, élégamment meublé de noir et de marron. Des personnages désœuvrés sont avachis. Une jeune fille s’ennuie, ses parents aussi. Agacée, elle s’amuse à allumer et éteindre la lumière, puis jette son dévolu sur quelqu’un au hasard, ce Jochanaan en costume trois pièces qui parle bien mais ne se distingue guère des autres protagonistes. Quid de la confrontation de deux mondes, le païen et le chrétien, pourtant au cœur de l’action ? Et surtout, quid de cette ambiance orientalisante moite, sensuelle et décadente, qui innerve toute la partition ? Même si un lit apparaît bizarrement de temps à autre au premier plan, il n’y aura pas plus de tension sexuelle dans la confrontation entre la princesse et le prophète, que dans le comportement du Tétrarque, ni même dans une danse des sept voiles transformée en bal de débutantes. La tête sera bien coupée, mais cela n’empêchera pas la victime de revenir à la fin offrir à la « petite » le câlin et le bisou sur le front, auxquels elle semblait aspirer. On garde l’impression d’un spectacle inabouti, dont le sens reste assez obscur.

Direction d’acteurs paresseuse

La Salomé d’Hedvig Haugerud a pour elle une apparence juvénile, ainsi qu’un beau timbre et un médium puissant et velouté ; mais les graves manquent à l’appel, et surtout les aigus systématiquement durs et stridents dépassent souvent la limite du supportable, l’artiste norvégienne se perdant en outre dans les méandres de notre langue. Bulgare, Milen Bozhkov possède une voix bien projetée, mais sa diction n’est guère plus intelligible ; il aurait pourtant bien eu besoin de ciseler ses mots afin de donner du relief à un Hérode plutôt amorphe, particulièrement pénalisé par une direction d’acteurs très paresseuse. Si la Française Julie Robard-Gendre a presque autant de progrès à faire pour l’articulation, son Hérodiade impressionne par sa puissance et son assurance. Des qualités dont peut également se prévaloir Pierre-Yves Pruvot, Jochanaan tout en séduction, en autorité, en prestance.

Saluons encore l’excellent Narraboth de Sébastien Droy, ténor brun et chaleureux, tout comme le quintette des Juifs : Paul Gaugler, Eric Huchet, Frédéric Diquero, François Almuzara, Louis Morvan se distinguent par la précision de leur diction, vertu partagée par le page de Marie-Juliette Ghazarian, ainsi que par Jean-Vincent Blot (à la fois Premier Nazaréen et Premier soldat), doté en prime d’une basse moelleuse. 

En partie disséminé dans les loges d’avant-scène du fait de l’étroitesse de la fosse, l’Orchestre national de Metz Grand Est, placé sous la direction de Lena-Lisa Wüstendörfer, se montre précis, dynamique et à la hauteur de cette partition luxurieuse. Si un surcroît de moelleux, de pianos et de contrastes seraient bienvenus, l’homogénéité des  textures et les couleurs séduisantes font souffler sur la représentation le vent de la passion qui fait défaut au spectacle.

Salomé de Strauss. Metz, Opéra-Théâtre, le 7 avril. Prochaine représentation le 9 avril.

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