À Deauville, musique de chambre au pluriel

- Publié le 9 avril 2024 à 08:58
Pour son week-end d’ouverture et selon son usage, le Festival de Pâques fait dialoguer œuvres du répertoire et compositions plus rares. De Schubert à Greif et du solo au sextuor, deux siècles de musiques se répondent.
Arthur Hinnewinkel, Raphaël Sévère

C’est sous le signe de la légèreté et de la complicité que commence le festival, avec le Quintette « La Truite » de Schubert alternant lyrisme, légers sourires et éclats de joie. On se réjouit des pizzicatos rieurs de la contrebasse, on danse aux contre-accents délicatement appuyés du Scherzo comme au finale « hongrois », on s’émeut de l’expressivité des variations sur le lied connu. Emmanuel Coppey (violon), Manuel Vioque-Judde (alto), Maxime Quennesson (violoncelle), Yann Dubost (contrebasse), Arthur Hinnewinkel (piano) y sont remarquablement à l’aise, s’amusant visiblement d’une conversation à bâtons rompus où chacun prend sa juste place avec évidence et où le discours savamment contrasté reste d’une belle sobriété.

Violence et douceur

Tout autre est l’atmosphère du saisissant sextuor Ich ruf zu Dir d’Olivier Greif. Écrite en 1999 alors que le compositeur vient de perdre son père, l’œuvre pour piano, clarinette et quatuor à cordes déroule quatre mouvements où tout s’exacerbe, de la violence à la douceur. La violence, irrépressible, est celle du cri initial (Scream), des stridences de clarinette qui brouillent un mouvement perpétuel (Roundabout) ou un choral (Ghost). Elle est celle du désordre et de la destruction, des griffures de piano, des accords arrachés, des sons agressifs, des accents faussés. La douceur émane des murmures d’harmoniques, des nappes fines et transparentes de cordes, de la pâleur des matières sonores, d’un emprunt à Bach qui se fraie difficilement un passage dans l’âpre chaos du finale (Sambor, ville d’origine du père de Greif). L’engagement des musiciens (Raphaël Sévère à la clarinette, Vassily Chmykov et Emmanuel Coppey – ici plus en retrait – aux violons, Manuel Vioque-Judde à l’alto, Maxime Quennesson au violoncelle et Gabriel Durliat au piano) est à la mesure et à l’image de cette pièce : magnifique et sans concession. S’y enchaîne – belle idée, que l’on doit à Greif lui-même – une Ouverture sur des thèmes juifs de Prokofiev dont la relative retenue se teinte d’humour, achevant la soirée sur une note plus sereine.

Romantismes et au-delà

Le lendemain, un changement de programme nous prive de la sonate pour clarinette et piano de Max Reger, remplacée par un ensemble Mahler-Berg. À un quatuor du premier au tempo très lent où l’altiste (Anna Sypniewski) s’efface souvent derrière ses comparses (Emmanuel Coppey, Maxime Quennesson et Arthur Hinnewinkel) succèdent deux opus du second. Le foisonnement mélodique de la Sonate pour piano se distingue parfois difficilement sous les doigts d’un Gabriel Durliat au jeu un peu sec – Greif lui convenait mieux – pour ce premier opus d’un compositeur encore sous l’influence de Schönberg. Les quatre somptueuses Pièces pour clarinette et piano op. 5 finement restituées par Raphaël Sévère et Arthur Hinnewinkel représentent en revanche à nos oreilles le moment le plus abouti du concert. Tout est là, dans ces miniatures préfigurant Webern où chaque note est munie d’une indication, du quadruple piano au triple forte, du legatissimo au quasi flatterzunge. Les progressions de tempos et de nuances sont délicatement dosées, phrasés et accentuations sont exacts sans que la fluidité discursive en pâtisse pour autant.

Der Wind de Franz Schreker, sorte de poème symphonique en miniature, expressionniste et imagé à souhait, ajoute le beau cor de Manuel Escauriaza Martinez Peñuela aux violon, clarinette, violoncelle et piano. Les sections de la pièce suivent un texte de Grete Wiesenthal contant le lever de la brise, danse des jeunes gens, tempête, retour au calme, dont les musiciens suivent les moindres détails. La deuxième partie, brahmsienne, donne à entendre un Trio pour clarinette, violoncelle et piano dominé par une clarinette un rien affectée cette fois et, en guise d’envoi, quelques Danses hongroises à quatre mains agréablement piquantes.

Festival de Pâques de Deauville, les 6 et 7 avril

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