Cecilia Bartoli et John Malkovich mélangent les genres à Monte-Carlo

- Publié le 11 avril 2024 à 12:20
<p>Their Master’s Voice</p>
La diva italienne conclut sa deuxième saison à la tête de l’Opéra de Monte-Carlo avec “Their Master’s Voice”, un « spectacle lyrique » créé sur mesure autour de l’un de ses répertoires de prédilection, celui des castrats. Il y est notamment question de fluidité du genre, avec un étonnant John Malkovich en guest-star.
Their Master's Voice

La voix de son maître, c’est celle de Carlo Broschi, alias Farinelli, propulsé au sommet de la célébrité par le maître de musique Nicola Porpora dans la première moitié du XVIIIe siècle. Cecilia Bartoli, qui avait déjà fait du castrat le sujet d’un album en 2019 et de concerts autour de Farinelli et son temps, explore de nouveau ce thème dans un « duel de genres », dont l’écriture et la mise en scène ont été confiées à Michael Sturminger.

Construit à la façon d’un pasticcio compilant de airs de Vivaldi, Handel, Pergolesi, Their Master’s Voice présente un spectacle dans le spectacle : un ancien contre-ténor américain incarné par un John Malkovich chevelu, grognon et excentrique à souhait, sort de sa retraite pour rendre hommage à Farinelli. On le découvre en séance de travail avec un autre contre-ténor, plus jeune – auquel Philipp Mathmann prête son soprano, dont les aigus clairs et naturels évoquent un timbre d’enfant – et une metteuse en scène (l’actrice Emily Cox), qui tente tout à la fois de contenir l’ego démesuré du vieux divo capricieux et de trouver pour le satisfaire une mezzo-soprano « qui ait des aigus et des graves », afin d’approcher la tessiture de Farinelli. Le tout… sonorisé ! Dans l’écrin acoustique de la salle Garnier monégasque, le choix surprend à ce stade. Il en deviendra franchement gênant à l’entrée en scène de la diva, nuisant à la perception de toutes les subtilités de son bel canto légendaire.

Cecilia Bartoli en son palais

Car bien sûr, le destin met sur le chemin des « maîtres d’œuvre » du spectacle une providentielle inconnue, qui emporte l’adhésion après l’audition du déchirant « Gelido in ogni vena » tiré du Farnace de Vivaldi. Cecilia Bartoli explore avec la sensibilité qu’on lui connaît les nuances et les inflexions de ce lamento, alternant éclats désespérés et plaintes sur un filet de voix. La Bartoli fait du Bartoli à la perfection (on en redemande !), et « l’inconnue » est embauchée ! Dans un mélange des genres (un de plus), elle devra jouer successivement le maître de chant Porpora (elle donne une leçon au jeune Farinelli sur le « Desterò dall’empia » de Handel, où le hautbois de Pier Luigi Fabretti et la trompette de Thibaud Robinne se livrent une joyeuse et virtuose battle), la mère de Farinelli et… Farinelli lui-même. Le temps de nous offrir d’inoubliables instants suspendus avec l’imploration « Amami, e vederai » d’Agostino Steffani, sur le fil de l’émotion, accompagnée du délicat théorbe d’Elisa La Marca, ou encore l’amoureux « Sol da te, mio dolce amore » de l’Orlando Furioso de Vivaldi, surligné par la flûte, brillante et aérienne, de Jean-Marc Goujon. Cecilia Bartoli s’y entend comme personne pour faire chatoyer et palpiter toutes les nuances du chant, comme dans le repentir « Ah me ! Too late I now repent » de la Semele de Handel, dans des pianissimi d’une délicatesse à vous tirer des larmes.

Musiciens et chœur princiers

Prêtant aux chanteurs une attention de tous les instants, Gianluca Capuano obtient pour sa part le meilleur de ses excellents Musiciens du Prince, dont les instruments anciens brillent de toutes leurs couleurs dans les démonstrations de puissance comme dans les détails les plus ciselés. Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, largement mis à l’honneur (« Confessio » du Confitebor tibi domine de Pergolesi, « How dark, O Lord, are the decrees » du Jephta et « Avert these omens! » de la Semele de Handel…) prend sa part au succès de la soirée, jusque dans le bis initié par Cecilia Bartoli : « Endless pleasure, endless love ».

Justement, endless pleasure… On aurait aimé entendre davantage ces répertoires « d’une beauté et d’une poésie sublimes » qui se suffisent à eux-mêmes, comme le conclut John M., et peut-être moins cette dramaturgie certes très bien intentionnée (fluidité du genre, cancel culture, liberté d’expression…) et souvent drôle (l’apparition de John Malkovich dans les atours flamboyants de Farinelli !), mais contrastant parfois trop brutalement avec la beauté de la musique. En clôture du spectacle, la diva ose (le fallait-il ?) l’ultime cross-over en conviant la star américaine dans le sublime duo « Pur ti miro » de L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi.

Their Master’s Voice, Opéra de Monte-Carlo en coproduction avec le Printemps des Arts, le 7 avril. Le 8 juin à l’Opéra royal de Versailles, le 10 juillet à la Staatsoper de Vienne.

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