Pelléas et Mélisande à Liège

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Pelléas et Mélisande : l’histoire d’un amour impossible, d’un amour interdit qui ne peut se conclure que par la mort des amants ? Une autre variation sur un thème qui parcourt notre littérature de Tristan et Iseut à « Love Story » d’Erich Segal, de Roméo et Juliette aux Colin et Chloé de « l’Ecume des Jours » de Boris Vian ? Oui et non. 

S’étant égaré en forêt un jour de chasse, Golaud découvre « une petite fille perdue », Mélisande, qui s’est enfuie on ne sait d’où, on ne sait de quoi. Il l’épouse et la ramène au château familial. Elle y rencontre Pelléas, le demi-frère de Golaud. Attirance irrésistible. Ces deux-là vont s’aimer d’un amour interdit. Ils en mourront.

Mais l’oeuvre -pièce de théâtre devenue opéra- est bien davantage qu’un enchaînement fatal de péripéties. Pour Maurice Maeterlinck, l’auteur de la pièce, « nous ne voyons que l’envers des choses ». Tout ce que nous disons, tout ce que nous vivons, n’est que l’apparence de réalités dissimulées, profondes ; tout cela n’est que « symboles ». Les mots ne valent que par ce qu’ils suggèrent, ce qu’ils laissent entendre, ce qu’ils évoquent, rappellent ou annoncent. Les silences qui les séparent sont significatifs. Les lieux, la nature, les lumières et les sons, eux aussi, sont des signes révélateurs. Tout est joué déjà, tout suit sa course, inexorablement.

Ce monde-là, qui ne vaut que par ce qui le sous-tend, Barbe & Doucet, les metteurs en scène, lui ont donné une magnifique apparence scénographique. Des arbres suspendus dont on découvre ces racines qui leur donnent vie et apparence ; de l’eau sur la scène, celle des fontaines, des eaux souterraines, si mystérieuses dans leur profondeur, omniprésentes dans l’œuvre. Des lumières (de Guy Simard), ombres et clartés, qui révèlent un peu et dissimulent beaucoup. Des parois qui s’ouvrent ou se referment, surgissement des personnages. 

Cette pièce, précurseuse du « théâtre du silence », Claude Debussy ne l’a pas accompagnée, illustrée par sa partition. Celle-ci n’est jamais pléonasme réducteur. Debussy a trouvé les notes qui seraient l’en-deçà de ce qui est dit, de ce qui est vécu. Sa musique est la vérité des êtres et des choses. C’est une musique qui assure la diction, l’intonation des mots, qui marque leur intensité. Quelle prosodie ! C’est une partition aussi dont les nombreux « intermèdes » orchestraux nous offrent le temps de l’appropriation, de la prise de conscience, de la réflexion.

Et c’est sur ce point que la mise en scène de Barbe & Doucet m’a moins convaincu : ils ont organisé des processions régulières de jeunes femmes toutes voilées de blanc et d’un personnage inquiétant. On comprendra à la fin de l’œuvre que ce sont non pas seulement les servantes et le médecin du château, mais les annonciatrices du destin en marche. Ces passages récurrents nous distraient de cette musique qui a tant à nous suggérer. De plus, le duo de metteurs en scène installe des moments de silence « significatifs », des temps morts, ce qui, au-delà du fait que c’est un tic de pas mal de mises en scène, est inutile : ce sont les intermèdes musicaux qui jouent et de quelle manière ce rôle-là. Ce faisant, Barbe & Doucet alourdissent un propos qui vise au contraire à l’épure.

Le texte et la musique : ils sont magnifiés par leurs interprètes ! La partition est si bien servie, accomplie, par un Orchestre de l’Opéra de Wallonie-Liège dont on ne peut que saluer la qualité des performances. Un orchestre exactement dirigé par Pierre Dumoussaud qui, maeterlinckien et debussyste, nous fait entendre ce qui se cache dans ces notes.

Quel beau plateau de solistes aussi. Chacun si convaincant dans l’expression scénique de son rôle, dans les nuances ou les affirmations vocales de ce rôle. Ainsi notamment, cette dernière rencontre entre Pelléas-Lionel Lhote et Mélisande-Nina Minasyan, quand ils s’avouent enfin leur amour ; ainsi les errements douloureux du Golaud de Simon Keenlyside ; ainsi, comme dans toute tragédie, les constats impuissants des proches, Arkel-Inho Jeong, Geneviève-Marion Lebègue ; ainsi l’incompréhension naïve de l’Yniold-Judith Fa ; ainsi le constat de ce qui se résout du médecin-Roger Joakim.

En conclusion, deux citations livrées à votre réflexion : « Nous ne voyons que l’envers des choses » et « Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes ».

Opéra de Wallonie-Liège, le 14 avril 2024

Crédits photographiques :J.Berger/ORW-Liège

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