Deux concertos pour orgue contemporains, dans une abbaye du Tyrol 

par

Dialog. Franz Baur (*1958) : Konzert für Orgel und Orchester. Elias Praxmarer (*1994) : Konzert für Orgel und Orchester “1809”. Michael Schöch, Elias Praxmarer, orgue. Orchestre de l’Akademie St. Blasius, Karlheinz Siessl. Livret en allemand, anglais. Juillet 2020. TT 57’32. Musikmuseum 63 - CD 13062

Directeur de l’Akademie St. Blasius depuis 1998, Karlheinz Siessl a commandé à deux compositeurs du Tyrol ces œuvres, présentées en 2020 dans le cadre de Stift Stams Sakral – Orgel Plus, initié par Elias Praxmarer, organiste de l’abbaye cistercienne qui accueille ce festival autrichien. Commémorant la révolte de 1809 contre la domination bavaroise, le concerto du tout jeune musicien s’entend comme un poème symphonique en six volets, intitulés « ombres, requiem, plainte, patriotes, gouffre, finale ».

Derrière ce programme et ses interventions solistes se cache, selon l’auteur, un commentaire « sur la violence, l’oppression, la rébellion, la guerre et ses conséquences », véhiculant « un combat pour la rédemption et la paix, ou l’aspiration à la protection ecclésiale et chrétienne ». Deux motifs en mode phrygien et le Herz-Jesu-Lied contribuent au matériau thématique. On succombera de bonne grâce à quelques facilités d’écriture, par exemple l’introduction digne d’un péplum biblique. On blâmerait le creux triomphalisme qui résonne des simplistes fanfares de Patrioten, avant qu’on en comprenne le faux-semblant lorsque ce défilé se désagrège dans un brouillard atonal. L’acoustique du lieu et l’ample captation offrent une impressionnante spatialisation à un orchestre de vingt-cinq cordes, avec bois et cuivres par deux, timbales et percussion (caisse claire, grosse caisse, gong, cymbales…). On ne saurait imaginer meilleur écrin pour flatter l’envergure quasi cinématographique de ces pages aussi suggestives qu’efficaces, où s’expose en majesté l’orgue Rieger de 2015 (43 jeux), exhibé dans la cadenza conclusive, sous les doigts du compositeur. Ce flagrant diorama historique mérite de trouver sa voie dans les salles de concert.

Pour sa part, la création de Franz Baur valorise l’autre orgue de Stams, d’esthétique baroque, qui remonte à 1757. Il est ici joué par Michael Schöch, qu’on sait aussi à l’aise au piano qu’à la tribune, lauréat de l’ARD Internationalen Musikwettbewerb et depuis 2015 professeur au Conservatoire d’Innsbruck. Lui-aussi pédagogue, figure marquante de la vie musicale tyrolienne, Franz Baur a écrit des pages chambristes, symphoniques, des oratorios, qui apparaissent dans le catalogue du label Musikmuseum. Son concerto ici entendu s’inscrit dans le contexte de l’épidémie de Covid et exprime l’idée de « surmonter le virus, pas seulement dans le sens d’une survie, mais par l’expérience que la musique existe, que l’art existe, que quelque chose de très spécial existe qui nous rend humain ». Les cinq parties déploient des ambiances tour à tour ludiques, espiègles, dans l’esprit d’une pochade néoclassique, mais aussi acerbes et menaçantes. Ces sentiments ambivalents, dont l’émotion n’est pas absente, s’incarnent dans une interprétation de haute tenue, concentrée et communicative.

Contrairement à d’autres disques inattendus qu’on découvre puis range aussitôt, celui-ci donne envie d’être réentendu. Dans un répertoire qui semblait d’un intérêt circonscrit, ce CD servi par une spectaculaire prise de son est une heureuse surprise qui vaut le détour, notamment la fresque d’Elias Praxmarer dont le grandiose et la réfulgence sauront ébahir.

Christophe Steyne

Son : 9,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 7,5-9 – Interprétation : 10

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