Les Fantaisies pour viole de Purcell, tracées à la pointe sèche par John Holloway

par

Henry Purcell (1659-1695) : Fantazias in three & four parts I-XII, Z.732-743. John Holloway Ensemble. John Holloway, violon. Monika Baer, Renate Steinmann alto. Martin Zeller, violoncelle. Mars 2015. Livret en anglais, allemand. TT 41’45. ECM NEW SERIES 2249 485 6006

Après son fleurissement sous les règnes d’Elisabeth I, Jacques Ier et Charles Ier, la musique pour chest of viols changeait de mode quand de Purcell émergea ce bouquet, sorte de chant du cygne d’une époque, qui s’inscrit dans la transition entre les ères caroline et caroléenne. Charles II préférait les pièces entraînantes et mélodieuses, goûtant peu ces austères et archaïques exercices qui se distillent de l’art de Matthew Locke (c1621-1677). Alors que le jeune Henry venait d’être attaché au service de la Cour a l’âge de dix-huit ans, cette tardive floraison de Fantazias (1680) marque un sommet du genre, mais aussi un des derniers exemples de cette veine polyphoniques sur le sol d’Albion. Elle cultive et magnifie les anciennes recettes de contrepoint, et en extrait une quintessence harmonique. 

D’origine vénitienne, l’usage outre-Manche de la famille des violons était attesté depuis environ un siècle et demi, alors que celle des violes déclinait un peu partout sur le continent. Se légitime donc la question de la nomenclature instrumentale à employer pour ces Fantazias, au regard du registre tonal. Depuis les années 1960 et les rugueuses moutures viennoises du Concentus Musicus de Nikolaus Harnoncourt (Vanguard Bach Guild), pionnières de la discographie, la doctrine de performance practice a pu évoluer, sans se figer. On se souviendra par exemple que le vinyle du London Baroque (Emi, avril 1983) empruntait une solution mixte (violons et violes), alors que ce même ensemble de Charles Medlam renoncera ultérieurement aux violes au profit d’un panel de violons, altos et violoncelles dans son remake de 2010 pour le label BIS. Bruno Cocset et ses Basses Réunies optèrent pour une solution similaire (violons, ténors et basses de violon), avec la complicité d’un clavecin, celui de Bertrand Cuiller (Agogique, 2012). Plus récemment, apportant sa réponse à la tessiture des partitions, le SACD du Chelys Consort (BIS, août 2019) embarquait une viole alto.

Pour sa part, l’ensemble de John Holloway élit ici un quatuor de violon, deux altos et violoncelle (la facture des instruments n’est pas précisée dans le livret). On s’interroge surtout sur le délai entre la publication du présent disque (2023) et les sessions (mars 2015), qui suivaient de quelques mois l’enregistrement par la même équipe de l’album Pavans & Fantasies from the age of Dowland (mars 2013), lui pourtant paru voilà dix ans. Autre incongruité que la congruité du programme, réduit à une quarantaine de minutes, alors que le giron purcellien (notamment les In Nomine) ne manquait certes point de ressources qui auraient pu compléter cette proposition quantitativement chiche.

Après son passage dans les rangs de prestigieuses formations britanniques, sur instruments modernes (l’Academy of St Martin in the Fields de Neville Marriner, English Chamber Orchestra) ou alors engagées sur la voie historicisante du HIP (London Classical Players de Roger Norrington, Taverner Consort and Players d’Andrew Parrott), John Holloway s’était distingué par deux fois dans les Quatre saisons de Vivaldi, avec La Grande Écurie de Jean-Claude Malgoire (CBS, 1978), puis comme co-soliste (L’Été) de la version quadricéphale de Christopher Hogwood (L’Oiseau-Lyre, 1983). Le violoniste anglais est à la tête d’une abondante et éminente discographie, dans toutes les sphères de l’Europe baroque : germanique (J.H. Schmelzer, H. Biber, D. Buxtehude, G. Muffat, J.S. Bach, G.P. Telemann), française (J.M. Leclair), italienne (D. Castello, G.B. Fontana, F.M. Veracini).

Dans le sillage de quelques remarquables réalisations de John Holloway pour ECM, la présente interprétation se situe elle-aussi à haut niveau : concentrée, parfaitement réglée, vigoureusement rythmée, quoique sans séduction ostentatoire. La prise de son dans un studio de Zürich s’avère dense et sculpturale mais à vrai dire un peu rêche et pauvre en couleurs, plus acescentes que nacrées. Cette sèche perspective accuse du moins la netteté des lignes qui trace de ces douze Fantaisies un sévère portrait d’aquafortiste. Singulièrement en phase avec l’esthétique classieuse et épurée dont témoigne le catalogue du label munichois dans de nombreux répertoires, voici une ascétique alternative face aux hédonistes envoûtements d’un Jordi Savall (Astrée, 1994).

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 9,5 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

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