Un orchestre allemand et un chef anglais pour l’univers orchestral d’Elgar

par

Edward Elgar (1857-1934) : Cockaigne Ouverture (In London Town) op. 40 ; Symphonie n° 1 en la bémol majeur op. 55. Nationaltheater-Orchester Mannheim, direction Alexander Soddy. 2021/23. Notice en allemand et en anglais. 62’56’’. Oehms OC1730. 

La discographie de la Symphonie n° 1 d’Edward Elgar est pléthorique. Elle est dominée, en toute logique, par une longue liste de baguettes et de formations britanniques. À commencer par le compositeur lui-même, qui en a laissé un témoignage essentiel, gravé du 20 au 22 novembre 1930 avec le London Symphony ; il figurait en 1992 dans le premier volume de la remarquable Elgar Edition en trois coffrets, parue alors chez EMI, qui proposait en neuf CD un vaste panorama de la production du maître, dirigée par lui-même. On peut faire son marché dans une longue liste d’enregistrements : Sir Adrian Boult, l’ami fidèle, pour sa référence des deux symphonies avec le London Philharmonic en 1968 (Lyrita), Sir John Barbirolli, en particulier son live de 1970 , avec le Hallé Orchestra (Intaglio), Bryden Thomson avec le London Philharmonic (Chandos, 1986), Sir Colin Davis avec la BBC (RCA, 1995) ou le London Symphony (label LSO, 2002), ou encore Sir Mark Elder, Richard Hickox, Andrew Davis, Vernon Handley et quelques autres. On peut aussi aller vers des non-Anglais : Bernard Haitink avec le Philharmonia, Vladimir Ashkenazy à Sydney, Giuseppe Sinopoli (remarquable chez DG en 1992 avec le Philharmonia), Antonio Pappano à Rome… Une liste loin d’être épuisée !

Les orchestres allemands ont moins fréquenté cette première symphonie d’Elgar. Roger Norrington a tenté l’aventure avec le RSO Stuttgart (Hänssler Classics, 2001), Daniel Barenboim a fait de même avec la Staatskapelle Berlin (Decca, 2016). Une phalange plus modeste, la Philharmonie de Thuringe Suhl, dirigée par Stephen Somary, a proposé (Claves, 1998) un programme identique à celui du label Oehms aujourd’hui : un couplage avec l’ouverture Cockaigne, alors que plusieurs autres chefs ont opté pour l’adjonction à l’opus 55 de l’hommage à l’Italie In The South (Alassio) de 1903/04. C’est l’Orchestre du Théâtre de Mannheim qui offre ici ce même couplage, sous la baguette de son chef anglais Alexander Soddy (°1982), né à Oxford et formé à Cambridge et à Londres, qui officie dans la cité du sud-ouest de l’Allemagne depuis 2016. 

Elgar n’a composé sa Symphonie n° 1 que la cinquantaine venue, fort des succès de ses Variations Enigma (1899), de ses oratorios The Dream of Gerontius (1900), The Apostles (1902/03) et The Kingdom (1901/06), mais aussi de son merveilleux cycle de mélodies Sea Pictures (1897/99). Écrite en 1907/08, la symphonie a été créée par Hans Richter, avec le Hallé Orchestra de Manchester, le 3 décembre 1908, avec un énorme succès, qui lui valut dans la foulée un grand nombre de concerts publics. Cette partition de maturité en quatre mouvements, dont le compositeur lui-même soulignait le fait qu’elle se caractérise à la fois par la majesté et la sérénité, mais aussi par des sentiments intérieurs tourmentés, exige des interprètes un déploiement de fougue et de noblesse mêlées. Mais aussi une recherche de dynamique, que l’audition de la version de 1930 par Elgar lui-même illustre à merveille, avec ses tempos vifs et engagés.

Nourri par la tradition anglaise dont il est issu, Alexander Soddy, qui compte aussi à son actif un beau parcours dans le domaine de l’opéra à Londres, Vienne, New York ou Paris, entraîne sa formation allemande dans un climat qui convainc. Le thème de la marche du premier mouvement est altier, avant un Allegro qui se soucie de sa part requise de majesté. Les contrastes de l’Allegro molto sont bien marqués, amenant la mélodie lyrique du superbe Adagio vers une atmosphère méditative. Le final, qui rejoint les effusions rythmées du premier mouvement, s’achève dans une apothéose grandiose. Captée en public en octobre 2021, cette belle version contemporaine de ce chef-d’œuvre baigné par la noblesse aux multiples facettes, selon la jolie formule de la notice, est rendue avec une généreuse fierté. 

La symphonie est donc précédée par la Cockaigne Ouverture (In London Town), créée en 1901 sous la direction d’Elgar lui-même, qui l’enregistra à deux reprises, en 1926 avec le Royal Albert Hall Orchestra, et en 1932/33 pour la BBC (les deux gravures sont insérées dans l’Elgar Edition citée). Le compositeur adoptait un tempo enlevé pour animer cet hommage d’affection, teinté d’humour, envers la cité de la Tamise. On y perçoit aussi bien des jeux d’enfants qu’un couple romantique dans un jardin public, des bruits de marchés ou une allusion à une musique militaire. On rappellera la réflexion de George Bernard Shaw (1856-1950), le célèbre critique musical irlandais, qui pouvait se révéler si caustique. Mais pas dans le cas présent. En 1920, il n’hésita pas à affirmer, en termes élogieux dans un article, que l’Ouverture Cockaigne allie toutes les qualités classiques d’une ouverture de concert à toutes les qualités dramatiques et lyriques de l’ouverture des Maîtres Chanteurs (Ecrits sur la musique, Laffont/Bouquins, 1994, p. 1374-75). Dans un live de juin 2023, Alexander Soddy souligne, avec efficacité et dans un geste plus large que le compositeur, toutes les variations de couleurs de ce portrait musical londonien. Son éloquente décontraction fait la démonstration que l’univers d’Elgar peut aussi largement convenir à des formations non insulaires.       

Son : 8,5  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.