Ludwing van Beethoven, anatomie d’un mythe

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Ludwing van Beethoven, anatomie d’un mythe

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Ludwig van Beethoven : anatomie d'un mythe
Ludwig van Beethoven : anatomie d'un mythe
© Getty - Heritage Images

Ludwig van Beethoven est plus qu’une figure musicale, c'est une légende romanesque, un mythe en constante évolution. Mais comment la vie d’un compositeur a-t-elle réussi à inspirer un mythe qui le relie à d'innombrables qualités morales, sociales et politiques ?

Parmi tous les compositeurs de l’histoire, Ludwig van Beethoven suscite une immense fascination. Depuis presque deux siècles, sa vie et son œuvre ont été immortalisées dans d’innombrables œuvres littéraires, artistiques, théâtrales et cinématographiques, nourrissant et façonnant à nouveau son image pour les générations suivantes.

L’histoire de Beethoven est au cœur de l’idéal Romantique selon lequel il est nécessaire de souffrir pour créer un « grand » art et y apporter un sens supérieur. De son vivant, Beethoven incarne déjà  l’artiste maudit qui a su affronter les plus grands obstacles pour atteindre les sommets de la gloire et augurer à lui seul une nouvelle ère musicale. Il s’agit pourtant d’un récit réducteur qui fige le compositeur dans une fausse posture héroïque, progressivement éclipsé par un mythe qui lui a été imposé dès sa mort et au cours des siècles suivants.

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Encore aujourd’hui, le mythe beethovenien ne cesse d’occuper le paysage artistique et social, mais par ces nombreuses (re)appropriations littéraires, politiques et culturelles du mythe, un écart s’est creusé entre l’homme et la légende de l’artiste héroïque que l’on connait aujourd’hui. Comment l’existence de cet homme est-elle devenue le sujet d’un fantasme collectif artistique, social et politique ?

La création du héros Romantique

Dès la mort de Beethoven le 26 mars 1827 à Vienne, les écoles sont fermées et près de 30 000 personnes se rassemblent dans les rues pour saluer la dépouille du célèbre compositeur. Son aura envahit l’attention publique, artistique et politique. Portraits et masques mortuaires abondent, et les anecdotes pullulent, remontant jusqu’à sa naissance : lorsque Ludwig vint au monde, un éclair aurait illuminé la pièce, suivi d'un puissant coup de tonnerre, comme si la nature elle-même annonçait l'arrivée d'une force de talent prodigieuse.

À l’âge de la pensée Romantique et du « génie », de l’esprit des Lumières et le culte des Grands Hommes, on parle de Beethoven avec un discours qui transcende le réel, évoquant l’inspiration d’un artiste face à Dieu, doté d’un pouvoir capable d’inspirer l’humanité. De nombreux auteurs s’emparent de l’histoire de Beethoven pour la raconter et la réinventer à leur façon, magnifiant l’image de l’artiste héroïque.

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Les anecdotes les plus célèbres de la vie de Ludwig van Beethoven sont pour la plupart des histoires relatées par des proches après sa mort. C’est Ferdinand Ries, ancien élève et ami proche de Beethoven, qui raconte dans sa biographie de 1838 la fameuse scène lors de laquelle le compositeur aurait arraché la page de sa Sinfonia Bonaparte avec rage en apprenant l’auto-proclamation impériale de ce dernier.

La biographie d’Anton Schindler de 1840, quant à elle, est la première à évoquer Beethoven décrivant les premières notes de sa cinquième symphonie comme « le destin frappant à la porte ». Unique en raison de l'accès privilégié de l’auteur à Beethoven, la biographie de Schindler contient plusieurs anecdotes révélatrices sur Beethoven qui ne sont mentionnés ailleurs. Cependant, de nombreuses recherches musicologiques ont montré que Schindler n’est pas un témoin fiable, faisant souvent passer le gain personnel avant l'intégrité de l'héritage de Beethoven.

Le culte de Beethoven ne fait que croitre dans les années 1840 avec l’érection à Bonn d’un monument de Beethoven ainsi qu’un festival à son honneur en 1845. Compositeur « de la joie et de la souffrance » selon le philosophe Nietzsche, Beethoven devient aux yeux de ce dernier l’un des exemples idéaux de son « surhomme » romantique.

Au cœur du mythe, la surdité

Tout héros digne de ce nom doit affronter un défi, et pour Beethoven le défi aura été de taille. La surdité progressive du compositeur, aussi tragique qu’ironique, rend ses créations musicales encore plus remarquables auprès de l’imaginaire collectif. En effet, les circonstances biographiques du compositeur jouent un rôle presque plus important que leur contenu musical dans la réception critique de ses compositions.

Si les œuvres tardives de Beethoven représentent aujourd’hui l’apogée de son œuvre musicale, cet avis est en contradiction avec les premières critiques de ses compositions au moment de leur création. Les critiques attribuaient les "défauts" qu'ils apercevaient dans les œuvres de Beethoven aux effets négatifs de sa surdité.

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En 1870, cette perspective est finalement renversée par Richard Wagner dans son essai Beethoven. L’auteur fait le choix sans précédent d’affirmer que les dernières œuvres de Beethoven sont en réalité les plus grandes du compositeur et que la surdité de ce dernier fut non une contrainte mais un atout vital à son processus créatif unique.

Cependant, l’essai de Wagner n'est pas tant une biographie qu'un essai sur l'esthétique et l'hégémonie de la culture allemande. À travers la musique de Beethoven il étudie l'expression musicale et dramatique, la relation entre un artiste et l'État et l'universalité de la musique :

« La rébellion [de Beethoven] ne consistait en rien d’autre que le déploiement exubérant de son génie intérieur… Ici se montre une fois de plus l'idiosyncrasie de la nature allemande, ce don profondément intérieur qui imprime sa marque sur chaque forme en la modelant à nouveau de l'intérieur, et est ainsi sauvé de la nécessité d’un renversement extérieur. »

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Récupération politique

Dans la création et l’évolution du mythe beethovenien, il est essentiel également de comprendre la récupération politique, souvent contradictoire, et les idéaux révolutionnaires aux XIXe et XXe siècles qui se sont mêlés à l’image du compositeur.

Après la constitution de l'empire allemand en 1870, Beethoven devient l’une des figures principales du patrimoine national. Pour le chancelier Otto von Bismarck, principal artisan de l’unité allemande, la musique de Beethoven incarne parfaitement les valeurs de sa vision politique, au point de rebaptiser la Symphonie no.9 la Symphonie Bismarck. En France, le même compositeur est applaudi pour son esprit révolutionnaire, incarnant les valeurs idéologiques républicaines.

Au cours de la Première Guerre mondiale, les interprétations de Beethoven fragmentent la République de Weimar : chaque faction formule sa propre interprétation des valeurs exprimées du compositeur. Plus tard, alors que le régime nazi se sert de l’aura beethovenienne comme représentation symbolique de la suprématie aryenne, et que la propagande soviétique souligne de son côté l’esprit révolutionnaire de Beethoven, l’Angleterre fait sonner l’ouverture de la Symphonie n°5 comme représentation symbolique d’une victoire face aux forces allemandes.

Dans l'euphorie du bicentenaire de la naissance de Beethoven en 1970, le Conseil de l’Europe choisit d’adopter comme hymne le dernier mouvement de la Symphonie n°9, la célèbre Ode à la joie. L'hymne officiellement adopté par les Communautés européennes en 1986, Ludwig van Beethoven incarne alors l’unité politique internationale.

Exploitées pour promouvoir diverses idées et valeurs, la vie et l’œuvre de Beethoven ont été constamment appropriées et réinventées à des fins non seulement sociales mais aussi nationalistes et politiques, au point que l’homme et le mythe sont aujourd’hui inséparables, preuve de la complexité et de la durabilité de son héritage. Ce n'est qu'en désacralisant l’aura de Ludwig van Beethoven, la figure cachée derrière le mythe, que l'on perçoit l'homme au cœur de la légende.

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